LA «CEDH»ET LE PARQUET: OU EST LE «WINNER»?

L’affaire « Medvedyev » (CEDH 29 mars 2010) a pour point de départ l’arraisonnement par des commandos de la Marine Nationale en juin 2002 au large du Cap-Vert, d’un cargo transportant de la cocaïne et battant pavillon cambodgien, le mal nommé « Winner ». Les onze membres de l’équipage ont été privés de liberté treize jours, avant d’être présentés à un juge à Brest. Les requérants, alléguant une privation arbitraire de liberté et se plaignant de ne pas avoir été aussitôt traduits devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, ont saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 19 décembre 2002.

Sur la violation alléguée de l’article 5 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme

La Grande chambre de la Cour rappelle dans sa décision du 29 mars 2010 que l’article 5 de la Convention garantit le droit fondamental à la liberté et à la sûreté, droit qui a pour but de protéger l’individu contre l’arbitraire. Elle conclut que la privation de liberté subie par les requérants à compter de l’arraisonnement et jusqu’à l’arrivée du navire à Brest n’était pas régulière au sens de l’article 5 § 1, faute de base légale ayant les qualités requises pour satisfaire au principe général de sécurité juridique.

Sur la violation alléguée de l’article 5 § 3 de la Convention

Les requérants invoquaient aussi l’article 5 § 3 de la Convention qui dispose: « Toute personne arrêtée ou détenue dans les conditions prévue au paragraphe 1 c du présent article doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la Loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure». La Chambre a conclu à la non violation de l’article, considérant qu’il y avait eu une impossibilité matérielle d’amener physiquement les requérants devant une autorité judiciaire dans un délai plus bref. Il est piquant de relever que le gouvernement français, pour sa défense devant la Cour, a vanté les mérites du juge d’instruction : « Ce dernier est un juge du siège totalement indépendant qui a pour mission d’instruire à charge et à décharge, sans pouvoir ni exercer des actes de poursuite ni participer au jugement des affaires pénales qu’il a instruites (…/…) ». Hommage post mortem…

Le statut du Procureur de la République

S’agissant de la portée et de l’interprétation de l’article 5 de la Convention, la jurisprudence de la Cour a eu l’occasion de mettre en avant les exigences de « promptitude », le caractère « automatique » du contrôle, ainsi que certains caractères et pouvoirs du magistrat. En l’espèce, la question du statut du Procureur de la République au sens conventionnel a été éludée par la Grande Chambre, car les requérants avaient été présentés à un juge d’instruction.

A la lumière de cette décision, la possibilité pour le parquet d’intervenir, notamment en cas de prolongation des gardes à vue, semble cependant problématique. Un procureur est en effet amené, à agir contre le requérant, postérieurement dans le cadre de la procédure pénale, et il ne présente pas les garanties d’indépendance requises à l’égard de l’exécutif. Suite au prochain épisode avec notamment la très attendue décision « France Moulin c/ France ». Du grain à moudre pour nourrir les polémiques. En synthèse, attention aux parquets trop bien cirés qui soutiennent le pouvoir. Celui de l’Elysée est-il en point de Hongrie ? Tonnerre de Brest !
«CHAUDS-FROIDS » CLIMATIQUES ET DIPLOMATIQUES

Le réchauffement climatique a mis fin a un conflit frontalier majeur. L’Inde et le Bangladesh se disputaient depuis les années 1970 la souveraineté d’un ilot inhabité de 10 km2 situé dans la baie du Bengale, à l’embouchure du delta du Gange. « New Moore » (pour New Delhi) et « South Talpatti » (pour Dhâkâ) vient d’être englouti par les eaux. Après les avisos, duels de sous marins en perspective. (« Le rivage des sikhs »).

Une corvette anti sous-marine sud-coréenne a coulé en mer jaune à proximité des eaux territoriales nord-coréennes, victime d’une explosion au niveau de la poupe, probablement causée par une mine. (« Le rivage des sink »).

Cette année les phoques canadiens ont été sauvés par un hiver exceptionnellement doux. En l’absence de banquise dans le golf du Saint Laurent, les phocidés sont restés au large de Terre Neuve et du Labrador. Victime du lobbying efficace de Tokyo, le thon rouge a eu moins de chance et a du sushi à se faire. La conférence sur les espèces en danger réunie au Qatar n’a pas adopté l’interdiction de pêcher en Méditerranée et en Atlantique. (« Le rivage deceit»).

Chez nous, le « climategate » a fait monter la température d’un cran. Claude Allègre et son compère paléomagnéticien Vincent Courtillot, vigoureux spécimens de la branche des « climato scepticus », sont en mauvaise posture. L’ancien ministre est accusé par Håkan Grudd, paléo-climatologue suédois d’avoir trompé les lecteurs de son opus « L’imposture climatique », « par un acte contraire à l’éthique scientifique ». 400 chercheurs en science du climat ont par ailleurs adressé aux plus hautes instances de la science française et à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse, un appel pour faire cesser les falsifications de données et autres manipulations de graphiques. Pour défendre son livre, le courageux Claude Allègre quitte le terrain miné des certitudes scientifiques: «Toutes les courbes(y) sont redessinées. Il y a donc des inexactitudes ou même des exagérations par rapport aux originaux. C’est un choix éditorial ». L’imposture importune l’importun. A qui profite le crime ? Allegro ma non troppo (« Le rivage du cirque »).

ACTUALITE JUDICIAIRE

Criminalité en col… Mao
Sombre affaire de corruption, de protectionnisme déguisé et de règlement de comptes commerciaux devant la cour populaire de Shanghai. Quatre salariés du groupe Rio Tinto sont accusés de vol de secrets commerciaux et de corruption. En toile de fond, un différend entre la Chine et le géant minier australien qui avait refusé un rabais important sur le prix du minerai de fer dont la Chine est le plus gros importateur mondial.

En Chine, les avocats plaident généralement coupables et moins de 1% des procès finissent par une relaxe ou un acquittement. Il y a quelques années Ségolène Royal avait rendu un hommage très commenté à la rapidité de la justice chinoise. Google, qui vient d’annoncer à grand renfort de publicité la fin (?) de l’autocensure qu’elle s’imposait en Chine, et qui a transféré ses usagers chinois sur son site de Hongkong, n’a qu’à bien se tenir. La police chinoise, qui veille au grain, a par ailleurs arrêté le 26 mars un homme suspecté d’avoir empoisonné des raviolis surgelés à destination du Japon. L’affaire a entrainé un malaise… diplomatique (« Le lotus bleu »).

Droit de la consommation et santé publique
Alertée par un taux de ruptures anormal, l’AFSSAPS lance une alerte aux prothèses mammaires défectueuses. Elle a décidé le retrait du marché et le rappel de prothèses mammaires en gel de silicone de la société « Poly implant prothèse ». « PIP », ex-leader du marché français, aurait utilisé un gel de silicone susceptible de provoquer des inflammations et des risques d’éclatement (« Objectif lune»).

Droit de l’environnement : affaire Erika : on fait le total
La Cour d’appel de Paris a confirmé la responsabilité pénale de Total pour imprudence dans l’affrètement du pétrolier Erika. Les indemnités de première instance ont été alourdies, passant de 192,5 à 200,6 millions d’euros. L’affréteur du cargo qui traditionnellement se dédouanait de toute responsabilité en se dissimulant derrière le propriétaire ou le gestionnaire du navire est condamné. L’arrêt introduit la notion de préjudice écologique. Cependant, la cour estime que Total en tant qu’affréteur n’est pas civilement responsable des dégâts provoqués. La convention internationale « CLC » sur la responsabilité civile, pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute, impute la responsabilité de la pollution au propriétaire du navire. Pour les lecteurs qui restent sur leur faim, séance de rattrapage avec les dérives de l’affaire «pétrole contre nourriture», le programme de l’ONU mis en place dans l’Irak de Saddam Hussein. Gare aux sables mouvants de la procédure. André Frossard disait que la foi du charbonnier est moins vive depuis la découverte du pétrole. (« Au pays de l’or noir »)

Droit pénal : garde à vous et garde à vue
« Touchez pas au Grisbi » et tir à vue entre avocats et policiers devant la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris. La basoche reproche aux pandores des propos « gravement outrageants à l’égard de la profession d’avocat », et demande un euro symbolique au syndicat « Synergie Officiers ». Un tract diffusé en novembre 2009 par ce syndicat et le secrétaire général adjoint du syndicat, Patrice Ribeiro (sur RTL), critiquaient la cupidité des avocats et réaffirmaient leur opposition à la présence de l’avocat en garde à vue. Argumentaire et mélange des genres pour le moins frelatés. Mais je suis juge et partie. (« Le trésor de Rackham le rouge »)

Droit du travail : remise en cause des acquis socio-politiques
Rachida Dati n’est pas contente. Victime de l’implacable politique de rigueur budgétaire de notre grand timonier (et accessoirement du vent mauvais post élection européenne), elle perd sa 607, son chauffeur, et quelques gorilles. Heureusement elle garde sa Toyota Prius de fonction de maire du 7ème arrondissement. Motorisation hybride, plus sûre quand on change de régime, mais attention tout de même au freinage avenue… Rapt. (« Les bijoux de la Castafiore »)

CRIMES, CHATIMENTS ET FARGHESTAN

En français dans le texte : «La chambre des cartes»
«Plus que partout ailleurs, il était aisé à l’Amirauté de se convaincre de tout ce que comportait de désuet la mesquine politique d’espionnage en faveur de la Seigneurie. L’image d’une irrémédiable décadence tenait dans le coup d’œil qui, du haut de la tour des signaux, plongeait sur la «base des Syrtes». En face de la forteresse, une jetée croulante et envahie par l’herbe fermait un port médiocre, au fond duquel se découvraient à marée basse de grandes vasières. A l’extrémité élargie du môle se dressait la pyramide d’un énorme tas de charbon; on y puisait si rarement que des herbes folles, et même de petits arbrisseaux, avaient fini par le coloniser, l’apprivoiser au paysage comme les collines aux formes étranges des terrils de mines abandonnées. Deux avisos de petit tonnage et d’un aspect vétuste étaient ancrés le long de la jetée, trois ou quatre pinasses à moteur basculaient à marée basse sur les vasières. » (Julien Gracq, « Le Rivage des Syrtes » 1951 ; chapitre 2)

« Crimes & Châtiments »
Pour conclure, ne ratez pas au musée d’Orsay la très belle exposition « Crimes & châtiments » placée « sous le signe de Caïn », pour reprendre le titre de la préface du catalogue, rédigée par Robert Badinter. L’ancien garde des sceaux a présidé à la naissance de l’exposition organisée par Jean Clair.

Les crimes (déicides, parricides, fratricides etc), les châtiments (une guillotine), la justice, la folie, le bien, le mal, l’art, la science, tout le monde a été convié à ce grand sabbat/saga de la volupté, de la mort et du sang. Quid du sens ? La faute à qui?

Un aphorisme ambigu de Joseph de Maistre pour tenter de mettre tout le monde d’accord : « Le glaive de la Justice n’a pas de fourreau ». (« Les soirées de Saint- Pétersbourg », 1821)

antoine.adeline@hammonds.com