Mais quelle doit être la réaction de l’employeur, lorsque c’est le salarié lui-même qui importe sur son lieu et durant son temps de travail un peu de son quotidien personnel ?
Quelle mesure l’employeur peut-il prendre lorsque le salarié fait un usage détourné des moyens mis à sa disposition par l’employeur ?

La réponse semble évidente. Le pouvoir disciplinaire de l’employeur doit jouer pleinement : la sanction pouvant aller du simple blâme / avertissement jusqu’au licenciement pour faute grave et même lourde, le cas échéant.

Mais, en pratique, la preuve de la faute justifiant le licenciement se révèle plus délicate.
En effet, c’est précisément sur le terrain de la recevabilité de la preuve de la faute dont se prévaut l’employeur, que les salariés tissent leur argumentation.

La preuve de la faute (dont il convient de remarquer que la réalité matérielle est rarement niée) rapportée par l’employeur serait irrecevable, parce qu’obtenue par des procédés attentatoires à la vie privée du salarié (avec en toile de fond, la violation des droits fondamentaux de celui-ci).

En la matière, depuis les célèbres arrêts Abram et Nikon, la Cour de cassation a progressivement affiné sa jurisprudence. Compte tenu de l’importance du contentieux lié au droit au respect à la vie personnelle du salarié, un rappel, chronologique, des arrêts clefs, ayant contribué à l’édification de la jurisprudence actuelle s’impose.

Le 2 octobre 2001, dans un arrêt rendu dans l’affaire Nikon, la Haute juridiction rappelle que le droit au respect de l’intimité de la vie privée implique en particulier le secret des correspondances et pose le principe que :

« le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur ».

De même, dans un arrêt en date du 17 mai 2005, la Cour considère que :

« Sauf risque ou événement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition, qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé ».

Ainsi, le fait qu’un employeur ait découvert des photos érotiques dans le tiroir du bureau d’un salarié ne l’autorise pas à procéder par la suite, à l’insu de l’intéressé, à une recherche sur le disque dur de son ordinateur et à ouvrir un fichier intitulé « perso ».

Par cette décision, rendue sous le triple visa de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, de l’article 9 du Code civil et de l’article L.120-2 du Code du travail, la Cour de cassation a considéré que la découverte d’un ensemble de dossiers totalement étrangers à ses fonctions ne pouvait justifier le licenciement du salarié pour faute grave, dès lors que l’ouverture des fichiers, hors la présence du salarié, n’était nullement justifiée par un risque ou événement particulier.

Par la suite toutefois, dans un arrêt du 18 octobre 2006, la Cour estime que par principe :
« les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence (…), sauf si le salarié les identifie comme étant personnels ».

Aussi, s’agissant d’un salarié qui avait procédé volontairement au cryptage de son poste informatique, sans autorisation de la société faisant ainsi obstacle à la consultation, la Cour a-t-elle validé le licenciement pour faute grave.

Il convient de souligner en l’espèce, que compte tenu du cryptage du poste diligenté par le salarié, l’employeur n’avait pu accéder à aucune donnée numérisée du poste. Dès lors en considérant comme justifié le licenciement résultant d’un tel comportement, la Cour admet que toute obstruction généralisée à la consultation de l’employeur de l’ordinateur mis à la disposition du salarié constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Enfin, les deux arrêts rendus le 16 mai dernier, marquent une nouvelle étape dans l’évolution de la jurisprudence, qui se montre de plus en plus soucieuse de préserver le droit de regard de l’employeur sur l’utilisation par les salariés des outils de travail mis à leur disposition.

Les faits étaient relativement classiques : licenciement des intéressés suite à la découverte par l’employeur de documents surprenants, voire choquants dans le bureau ou sur le poste de travail.

Plus précisément dans la première espèce, un analyste-programmeur est licencié pour faute grave après la découverte au cours d’opérations ordinaires de contrôle de gestion, sur le poste informatique mis à sa disposition, d’un nombre important de fichiers à caractère pornographique représentant 1/2 giga bits (soit l’équivalent de la taille de mémoire d’un baladeur MP3 standard).

Dans le second, un directeur de restaurant est licencié pour cause réelle et sérieuse sur la base de documents obtenus par l’ouverture et la fouille, hors sa présence, de son bureau.
Chacun des deux salariés invoquaient le caractère illicite des preuves rapportées, dès lors que ces dernières ont été récoltées à leur insu et en toute méconnaissance du droit au respect de leur vie privée, même au temps et lieu de travail.

Conformément à la jurisprudence initiée par la chambre sociale, la Cour d’appel de Paris a débouté les intéressés de leurs demandes. Ils n’auront pas plus de succès auprès des Hauts magistrats.

Les arrêts rendus le 16 mai 2007 semblent s’inscrire dans la tracée de la jurisprudence esquissée. La rédaction des attendus de principe de ces deux arrêts suggère toutefois une progression dans l’évolution de la jurisprudence. En effet, pour la première fois à notre connaissance la Cour de cassation admet que l’employeur peut, par principe, avoir libre accès à TOUS documents, dossiers, fichiers et même bureau du salarié, mis à disposition par lui, pour l’exercice de ses fonctions :

« Mais attendu, d’abord, que la cour d’appel, qui n’avait ni à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inutile ni à répondre à des conclusions inopérantes sur l’appellation usuelle d’un dossier informatique, a fait ressortir que les fichiers dont le contenu était reproché au salarié n’avaient pas été identifiés par lui comme personnels, ce dont il résultait que l’employeur pouvait en prendre connaissance sans qu’il soit présent ou appelé » .

« Mais attendu, d’abord, que les documents détenus par le salarié dans le bureau de l’entreprise mis à sa disposition sont, sauf lorsqu’il les identifie comme étant personnels, présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence » .

Il s’agit là d’une évolution positive de la Cour de cassation, qui tend, avec une certaine fermeté, à réaffirmer le pouvoir de contrôle de l’employeur.

Ainsi, donc, il semblerait que le pouvoir d’intrusion de l’employeur n’a qu’une seule limite : la mention « personnel » que le salarié apposera sur les documents, fichiers ou classeurs.
Encore que, même dans cette hypothèse, si la situation le commande, l’employeur peut, en tout état de cause, outre passer cet avertissement, mais non sans respecter un formalisme préalable.

En l’espèce, une société soupçonnait son responsable marketing d’entretenir, au travers de la messagerie professionnelle une correspondance étrangère à l’entreprise et en vue de la création d’une entreprise concurrente. Le service informatique ayant révélé la faute commise par le salarié, l’employeur était toutefois dans l’incapacité de procéder au licenciement, faute de pouvoir rapporter de manière licite la preuve des faits incriminés.
C’est dans ce contexte que, sur la base de l’article 145 du Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC) qui prévoit que :

« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé »,

la société saisissait le président du tribunal de grande instance (TGI) d’une demande tendant à autoriser un huissier à accéder aux données contenues dans l’ordinateur et, en présence du salarié et d’enregistrer la teneur des messages en question.

Malgré ces précautions, la cour d’appel de Douai rétracta l’ordonnance du TGI, et annula par voie de conséquence, le procès-verbal dressé par l’huissier, considérant que la mesure d’instruction sollicitée par l’entreprise portait atteinte à une liberté fondamentale.

Mais la Cour de cassation, dans un attendu de principe conciliateur, casse cette décision :

« Le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application de l’article 145 NCPC, dès lors que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées » .

A suivre…