Pour qui le découvre à la lecture de ses deux derniers ouvrages, la connaissance de l’homme, de l’Américain Paul Auster se fait à grands pas et de façon quasi exhaustive. S’adressant à lui-même en se tutoyant (dans la version française qu’il a sans doute agréée), il s’autorise cette familiarité dans la mesure où il se fréquente assidûment depuis toujours dans une grande partie de son œuvre.

Le titre Chronique d’hiver [1] est doublement explicite. C’est un auteur né en 1947 qui s’exprime : « Parle tout de suite avant qu’il ne soit trop tard, et puis espère pouvoir continuer à parler  jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à dire… tenter d’examiner les sensations qui te viennent de vivre dans ce corps depuis le premier jour où tu te souviens de t’être senti vivant jusqu’à aujourd’hui. Un catalogue de données sensorielles. » On saura tout des plaisirs et des douleurs, des accidents et des maladies, des pertes et des deuils, ces mille façons dont nos corps s’inscrivent dans l’air, dans le monde, ces va-et-vient innombrables parmi les proches et les autres. C’est dit plutôt qu’écrit, sans afféterie de style, avec un souci extrême de sincérité et d’acuité. Sauf à vouloir y voir de l’exhibitionnisme ou du nombrilisme, le lecteur pourra se lire lui-même, avec ce désir insatiable de chacun : saisir ce qui s’enfuit de ce que nous vivons.

Dans son tout dernier livre, Excursions dans la zone intérieure [2], Paul Auster s’invite, selon les mêmes modalités, à poursuivre la recherche de son temps pas encore perdu dans l’autre domaine qui constitue sa personne : son esprit . Il remonte ainsi jusqu’à l’émergence de sa conscience et dresse « le paysage mental de [son] enfance ». Défilent donc les lectures, les figures de héros, les visages et les caractères de la famille. On découvre les valeurs qui guideront sa vie comme par exemple un sens très vif de la justice. On assiste aussi à la naissance d’un écrivain ainsi qu’à celle d’un grand amour, ces événements personnels n’occultant pas pour autant ceux qui font le destin de son pays. La richesse de cette chronique, qui complète la précédente, occasionne certes quelques redites, mais on regrettera davantage qu’Auster tire à la ligne, ainsi lorsqu’il raconte très platement et trop longuement trois films qui l’ont marqué, sans vraiment faire entendre en quoi ils ont pu influencer sa pensée.

Les fidèles retrouveront la finesse d’introspection et le trait incisif de l’écrivain qu’ils suivent mais verront aussi les signes d’un certain épuisement, avec sans doute l’envie de relire les titres qui ont fait de lui un des grands noms de la littérature étasunienne.

Actes Sud a traduit et publié toute l’œuvre de Paul Auster.  


[1] Actes Sud/Leméac 2013, 252 p. + Babel [2] Actes Sud/Leméac 2014, 363 p.