Cass. Soc 12 décembre 2012, n° 12-13.522

La jurisprudence a déjà admis que le retrait du permis de conduire d’un salarié peut, dans certaines circonstances, constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. Dans un arrêt du 12 décembre 2012, la chambre sociale de la Cour de cassation a eu à se pencher sur la question suivante : quel est le sort du licenciement fondé sur un retrait de permis de conduire si ce retrait est ultérieurement annulé par un tribunal administratif ?

En l’espèce, le contrat de travail d’un ingénieur technico-commercial prévoyait qu’il serait amené à effectuer des déplacements professionnels et bénéficierait à ce titre d’un véhicule de fonction. À la suite de la perte de la totalité de ses points, le permis de conduire du salarié lui était retiré pour une durée de 6 mois. L’employeur, constatant que le salarié ne pouvait plus accomplir les tâches pour lesquelles il avait été embauché, procédait à son licenciement.

Plusieurs mois après le licenciement, le tribunal administratif a annulé la décision de retrait de points ayant entrainé le retrait du permis de conduire du salarié.

La décision d’annulation d’un acte administratif a par principe un caractère rétroactif : l’acte annulé est réputé n’avoir jamais existé et il ne peut donc pas avoir d’effet dans l’ordre juridique. Le juge administratif n’admet de dérogation à ce principe qu’à titre exceptionnel et uniquement dans un but de protection de l’intérêt général.

Le salarié a donc contesté son licenciement. Débouté par le conseil de prud’hommes, il a interjeté appel de la décision devant la Cour d’appel d’Orléans, qui lui a donné raison.
La question a alors été soumise à la Cour de cassation dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). La Cour a refusé de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel, en retenant :

  • que la question n’était pas nouvelle, car elle ne portait pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application ;
  • qu’en vertu du principe de séparation des pouvoirs, elle était tenue de faire application du principe de rétroactivité de l’annulation d’une décision administrative ;
  • que le principe de rétroactivité n’était pas contraire à la liberté d’entreprendre ni à la liberté contractuelle.

Le 12 décembre 2012, la Chambre sociale rejetait le pourvoi contre l’arrêt d’appel dont elle était saisie et énonçait très clairement que seul le juge administratif peut déroger au principe de rétroactivité.

La Cour de cassation retient donc sans ambiguïté que le caractère rétroactif de la décision administrative annulant le retrait de points s’impose au juge civil et entraine automatiquement la perte du caractère réel et sérieux du licenciement prononcé sur ce fondement.

L’effet rétroactif se heurte en l’espèce au principe selon lequel le motif du licenciement est apprécié au jour du licenciement.

La solution retenue par la Cour de cassation est le vecteur d’une grande insécurité juridique pour l’employeur, qui peut légitimement considérer comme fondé le licenciement d’un salarié dont le permis de conduire est retiré au moment où il prononce le licenciement et qui ne peut pas, au moment où il prononce le licenciement, anticiper l’annulation éventuelle du retrait.

Cette décision fait donc supporter à l’employeur les risques d’illicéité d’une décision administrative.

La Cour de cassation applique ici la solution qu’elle avait déjà retenue dans une affaire où un agent de sécurité avait été licencié en raison du retrait de son agrément administratif. La décision de retrait de l’agrément ayant par la suite été annulée par le juge administratif – avec effet rétroactif –, la chambre sociale de la Cour de cassation avait considéré que son licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 25 mars 2009, n° 07-45.686).

L’employeur contraint d’assumer les conséquences financières de la requalification d’un licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, suite à l’annulation d’une décision de retrait de permis, pourrait envisager de rechercher la responsabilité de l’État. En effet, la jurisprudence admet déjà que l’employeur qui doit supporter les conséquences dommageables du licenciement illégal d’un salarié protégé peut rechercher la responsabilité de l’État lorsque l’autorisation de licencier donnée par l’administration est ultérieurement annulée (CE, 26 févr. 2001, Sté CPL-Davoine, req. n° 211102).