Organisation judiciaire, accès à la justice et déjudiciarisation

Pour commencer un hommage à la JUSTICE et à ses cousines la LIBERTE et la JOIE. Ingrid Betancourt a été libérée. Bravo Madame pour votre courage. Après ces longues années d’angoisse, nous vous souhaitons ainsi qu’à vos proches, un retour paisible et une nouvelle vie heureuse dans notre monde de fous. Méfiez-vous cependant des « médiapulations »…

I. Synthèse des propositions de la Commission Guinchard

Le rapport comprend 3 volets (pour plus de détails voir aussi "La commission Guinchard a rendu sa copie"

1° Des propositions en matière d’organisation judiciaire

Une simplification de l’articulation des contentieux civils de première instance :
– l’intégration des juridictions de proximité dans les tribunaux d’instance, mais le rejet d’un tribunal unique de première instance,
– le tribunal de grande instance se concentre sur trois grands blocs de compétence (bloc familial, bloc pénal, bloc des affaires civiles complexes ou portant sur des enjeux importants).

Le regroupement de certains contentieux au sein des juridictions spécialisées :
– une juridiction unique à Paris pour les contentieux des brevets d’invention et les obtentions végétales,
– un pôle « crime contre l’humanité génocide »,
– Des pôles « grandes catastrophes en matière de transport ou liées à un risque technologiques ».

2° Des propositions en matière d’accès à la justice et de procédure

– la création d’un guichet universel de greffe,
– le maintien de la procédure de divorce par consentement mutuel devant un juge, mais selon une procédure allégée et à un coût régulier ou tarifé,
– l’institution de barème indicatif en matière de pension alimentaire et de réparation du préjudice corporel (n’incluant pas le cas des victimes de l’amiante).

3° Des propositions en matière de déjudiciarisation et d’allègement procédural (nous reviendrons sur la déjudiciarisation à la rentrée car c’est certainement la suggestion la plus prometteuse du rapport)

En matière pénale, développement de la transaction, des procédures simplifiées et une harmonisation du contentieux routier.

En matière civile, des transferts de fonctions et missions diverses afin de rationaliser le travail des différentes juridictions, sont proposés. Le développement des « Modes Alternatifs de Règlement des Litiges » est par ailleurs prôné avec :

– la procédure participative de la négociation assistée par avocat (d’origine québécoise),
– la généralisation à toutes les juridictions de la délégation de la conciliation au conciliateur de justice, la désignation d’un magistrat coordonnateur en appel, et la faculté ouverte au conciliateur de justice de constater dans un PV un accord des parties résultant d’un échange de courriers annexés.

II. L’esprit du rapport

En 5 mois de travail, près de 100 personnes ont été auditionnées par la Commission. La méthode retenue repose, nous dit-on, sur un triple principe de « célérité et proximité », « confiance et loyauté » et enfin « écoute et dialogue ».

Le rapport se veut global (il intègre la refonte de la carte judiciaire) et ouvert sur d’autres cultures juridiques (allemande, autrichienne ou québécoise).

Une phrase pour résumer son esprit : « L’ambition raisonnée d’une justice apaisée ». Deux idées fortes sont mises en avant : « le pragmatisme des solutions proposées » et « l’apaisement recherché par leur mise en œuvre ”. Il s’agit selon le recteur Guinchard d’un « rapport clés en main » … et qui « permettra de réformer rapidement et en profondeur l’institution judiciaire ».

Les réorganisations de juridictions et réajustements de contentieux sont sensés permettre un « accès plus lisible à la justice ». L’apaisement de la justice concerne les questions familiales et le contentieux routier. Le rapporteur conclut son discours de remise au Garde des Sceaux par une citation de la Bible : « Amour et vérité se rencontrent / Justice et Paix s’embrassent » (Psaume 84-II). Tout va bien !

Le discours de réponse de la Garde des Sceaux est convenu et n’échappe pas à la langue de bois. Elle conclut : « Durant l’été, la Chancellerie va travailler à l’élaboration d’un grand projet de loi sur la base de votre rapport. Le texte gouvernemental sera bien évidemment soumis à concertation à la rentrée. Ce sera un texte majeur. Car nous partageons tous l’ambition d’une justice lisible, cohérente et efficace : c’est bien l’ambition raisonnée d’une justice apaisée ». J’ai des doutes. La battologie, le datisme et la méthode Coué ne suffiront pas.

III. Quelques observations (irrévérencieuses) sur le rapport Guinchard

A. Explication de texte et herméneutique

Le discours de remise du recteur Guinchard se termine par cette formule bizarre : « L’effectivité des droits qui nourrit aujourd’hui notre système judiciaire passe par la réalisation des 65 propositions ».

Que peut bien signifier « l’effectivité des droits » ? Y-a-t-il des droits (a priori il est question de « droits subjectifs ») non effectifs ? Lesquels ? Comment cette « effectivité » peut nourrir un système judiciaire ? On mélange ici les genres, c’est-à-dire des « droits » avec une « organisation » ou un « système ». En réalité c’est plutôt le système judiciaire qui nourrit, ou pour être précis, qui assure ou n’assure pas le respect ou la protection des droits. Enfin, une interprétation a contrario du commentaire amène à conclure que « l’effectivité des droits » n’existe pas aujourd’hui ! Tout cela est confus et pas très … lisible !

Or le rapport a pour ambition de permettre un « accès plus lisible à la justice ». L’expression est reprise par la Garde des sceaux. Difficile de faire plus flou et jargonneux. Qu’est-ce qu’un système judiciaire « lisible » ? N’aurait-il pas été plus simple de reconnaître que le système judiciaire est trop compliqué. Ou est-ce à dire que la réforme de la justice et ses enjeux se résument à une question d’impression, d’apparence ou d’illusion ? !

B. Qu’attendre de ce rapport ?

A mon avis, rien ou quasiment rien (à une réserve près, la promotion de la médiation et de la conciliation). Le rapporteur insiste lui-même sur « l’ambition raisonnée » ou « raisonnable » du rapport. Traduction : « l’absence d’ambition » ! Cela est fâcheux. Le gouvernement y inclus la Chancellerie n’avaient-ils pas annoncé une transformation en profondeur des structures et des mentalités nationales ? Peut-être suis-je trop sarkostique…

Cette timidité est particulièrement frustrante quand on connaît l’ampleur du chantier de la réforme de la justice. Pourquoi cette accumulation de formules creuses, euphémismes et litotes ? Pourquoi se voiler la face alors que tout le monde connaît la profondeur des maux structurels et séculiers de la justice (lenteur, complexité, coût, jargon, imprévisibilité, etc. …), et que chacun dénonce la lourdeur des hiérarchies et le conservatisme des mentalités.

On a le sentiment que les ambitions initiales de la Commission ont fondu comme la neige au soleil, victimes entre autres, des tirs croisés de différents lobbys et de levées de boucliers corporatistes, sur fond d’enjeux politiques.

La référence à la volonté d’apaisement n’est pas innocente. En version décodée, après les remous et récentes camarillas de l’hiver et du printemps (carte judiciaire, réforme du divorce, etc.) surtout, ne pas, ne plus, faire de vagues … Au final, quelques réformettes. Un zeste de regroupements, des« simplifications d’articulations » (sic), des évolutions de pôles, de blocs, de statuts, un guichet universel de greffe, bref, Courteline chez les consultants ou l’urgence de ne rien chambouler. L’ambition apaisée d’une justice raisonnée…

La victime dans tout ça c’est le justiciable. Le meilleur accès ou la nouvelle « visibilité », c’est de la poudre aux yeux. On ne soigne pas un cancer avec de l’aspirine. On ne transforme pas la citadelle judiciaire (ou le « Château » cher à Kafka) en maison conviviale, en supprimant deux pièces et en condamnant un corridor. Tout reste à faire. Encore une occasion de perdue. Les Anglais, il y a déjà 10 ans, ont réussi à transformer en profondeur leur système judiciaire (Rapport Woolf). L’immobilisme est-il une fatalité hexagonale ?

Si j’avais à faire une suggestion, une seule, contre la multiplication des contentieux fantaisistes et les procédures dilatoires qui saturent les rôles des tribunaux, ce serait la multiplication par dix du montant des articles 700 du CPC et le prononcé de véritables condamnations pour procédures abusives.

C. La réforme de la réforme

Il y a une chose plus lente encore que la justice, c’est la réforme de la justice. Il serait peut être temps, avant la réforme de la justice, de se préoccuper de la justesse de la réforme.

Depuis 10 ans, les rapports se sont succédés. Le rapport Fauchon Jolibois, « Quels moyens pour quelle justice » date de 1997. Ce rapport avançait 36 propositions dont beaucoup sont reprises par la Commission Guinchard. 10 ans de perdus ! Puis nous avons eu, sans être exhaustif, les rapports Nallet et Coulon et, plus récemment, les rapports Roustand (sur la carte judiciaire) et Magendie (sur « La célérité et la qualité de la justice en appel »), sans oublier le rapport Attali qui a proposé d’unifier les professions d’avoués et d’avocats (unification programmée au 1er janvier 2010). On attend pour janvier prochain le rapport Darrois sur l’avenir de la profession d’avocat. La belle machine techno-bureaucratique fonctionne à merveille et … à vide. Le rapport Guinchard est certes un rapport clé en mains, mais ses clés ne feront sauter aucun verrou.

Et pourtant, le postulat de base, accepté par tous (ou en tout cas par tous les usagers) est simple ; ce n’est plus à l’entreprise ou au justiciable de tourner autour de la citadelle du droit ou de s’adapter à l’institution judiciaire, c’est au monde du droit (les tribunaux, les juges, les praticiens) de s’adapter et d’offrir à l’entreprise et au justiciable les moyens de combattre trois risques majeurs : le temps, le coût et l’incertitude. Le droit respire mal. Les preuves fatiguent la vérité disait Braques. « Orante plaide depuis 10 ans entiers en règlement de juges pour une affaire juste, capitale, et où il y va de toute sa fortune ; elle saura peut être dans 5 années quels seront ces juges, et dans quel tribunal elle doit plaider le reste de sa vie ». Ce que dénonçait La Bruyère dans « Les Caractères » il y plus de 300 ans, reste toujours d’actualité.

Notamment grâce à la généralisation des « Modes Alternatifs de Règlement des Conflits » et à la prévention des litiges, une révolution copernicienne est en cours. Si la Commission Guinchard a mis le doigt sur un point important, s’il faut retenir une impulsion à son crédit, c’est bien la promotion des « Modes Alternatifs de Règlement des Conflits ». Au-delà des avantages micro-économiques ou juridiques pour les justiciables, la modernisation des systèmes judiciaires a des enjeux macro socio-politico économiques colossaux. Dans un monde en voie de globalisation et de re-féodalisation accélérées, ce seront les sociétés les moins « conflictuelles » qui emporteront la partie.

Il faut initier dès maintenant les évolutions nécessaires. Celles-ci passent par de vrais débats de fond impliquant les justiciables, puis par des transformations en profondeur des institutions, des organisations, des comportements et mentalités, sans tabou ni a priori. Elles seules permettront d’éviter des douches froides et atterrissages douloureux dans un avenir proche. Ce ne sera pas simple parce que la réforme de la justice est une œuvre urgente qui nécessite des préoccupations d’archéologues. Surtout, gardons-nous du scientisme naïf prônant le tout managérial. Dans la Justice, dans les institutions judiciaires, il y a nécessairement du mystère, du sacré, du fantasme et de la dogmatique.

En attendant les nouveaux pavés à l’automne, jouissons sans entrave des plaisirs de la plage. Sans aucune réserve, et ce sera Justice … Bonnes vacances estivales pour les juillettistes, et rendez-vous à la rentrée !