Cour d’appel de Paris, 31 Octobre 2014, n°2014/19335

Par un arrêt en date du 31 octobre 2014 [1] , la Cour d’appel de Paris a confirmé la décision de l’Autorité de la concurrence rendant obligatoires des mesures conservatoires prises à l’encontre de GDF Suez [2]. Cette affaire pose en pratique la question du caractère irréversible des mesures que l’Autorité peut prononcer dans l’attente d’une décision établissant la culpabilité de l’entreprise concernée.

En effet, GDF Suez est désormais dans l’obligation de transmettre une partie de son fichier clients à ses concurrents, pour mettre fin à un potentiel abus de position dominante sans que cette pratique ne soit à ce stade avérée. Elle contestait en conséquence et notamment, devant la Cour d’appel, le caractère irréversible des mesures ordonnées et l’atteinte à sa présomption d’innocence.

Cette affaire a débuté par la plainte de la société Direct Energie auprès de l’Autorité de la concurrence en avril, dénonçant des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par GDF Suez sur le marché du gaz. Parmi ces pratiques, Direct Energie signalait que l’utilisation que l’opérateur historique faisait de son fichier de clients au tarif réglementé de vente (TRV), hérité de son monopole, lui permettait de maintenir sa position dominante et lui conférait un avantage indéniable pour remporter de nouveaux clients sur les marchés du gaz et de l’électricité ouverts à la concurrence. L’abus invoqué résulterait également de la confusion entretenue par GDF Suez entre ses offres TRV et ses offres de marché.

Ces fichiers clients aux TRV contiennent des informations sur le client (nom, coordonnées, civilité…), sur ses sites de consommation (locaux, équipements, activités…) sur ses contrats (types d’offre, durée, consommations…) mais aussi sur les demandes des clients (réclamations, facturation…). La richesse de ces informations réside, en outre, dans leur mise à jour régulière. L’Autorité de la concurrence avait ainsi considéré que les avantages tirés de l’utilisation de ce fichier n’étaient pas reproductibles par les concurrents dans la mesure où il n’existe pas de bases de données leur permettant de localiser les consommateurs de gaz afin de leur proposer des offres adaptées à leur profil.

Retenant l’urgence pour les clients résidentiels d’un recours effectifs aux offres les plus compétitives, notamment à l’approche de l’hiver, l’Autorité a donc ordonné à GDF Suez de transmettre une partie seulement de son fichier de clients aux TRV, à savoir les coordonnées des clients ainsi que les caractéristiques techniques de leur consommation.

GDF Suez a saisi la Cour d’appel pour annulation de cette décision, soutenant notamment que ces mesures présentaient un caractère irréversible et une atteinte à la présomption d’innocence.

En effet, GDF Suez soutenait que de telles mesures s’avéreraient irréversibles si les pratiques alléguées n’étaient finalement pas jugées comme anticoncurrentielles. GDF Suez soutenait également que l’atteinte à la présomption d’innocence était caractérisée par le texte d’information devant accompagner la demande d’accord des clients pour la communication des données dont la formulation précisait qu’il était « nécessaire de rétablir les conditions d’une concurrence effective ». Une telle formulation sous-entendait en effet le caractère établi de la culpabilité de GDF Suez alors même qu’aucune décision au fond n’est intervenue.

Sur ce point, la Cour d’appel, sans réellement en démontrer la faisabilité en pratique, affirme que, si la pratique en cause n’était finalement pas avérée à l’issue de l’instruction, il serait possible de fermer le site internet sur lequel les données sont transmises et d’enjoindre les opérateurs qui en aurait extrait les données de ne plus les utiliser…

La question de l’atteinte à la présomption d’innocence est quant à elle résolue par la Cour d’appel par la modification du texte qui précise désormais qu’il convient « d’assurer les conditions d’une concurrence effective ».

 

Article rédigé par Edouard Sarrazin et Céline Espesson

 


[1] Cour d’appel de Paris, 31 Octobre 2014, n°2014/19335.
[2] Décision de l’Autorité de la concurrence n°14-MC-02 du 9 septembre 2014.