La mondialisation, l’efficiency [1], la « guerre des droits », n’épargnent ni les juristes, ni les Chancelleries, ni les codes, ni les systèmes judiciaires. La Fondation pour le droit continental ou l’Institut de Droit d’Expression et d’Inspiration Francophone (IDEF)[2] veulent contrer ‘l’impérialisme’, réel ou fantasmé, de la Common Law. En France, un avant-projet très critiqué en l’état, de réforme du droit des obligations, devrait être discuté avant la fin de la législature. Un projet de droit européen des contrats a donné lieu à une consultation publique en 2010-2011. Pour prendre du recul, notamment lorsqu’il s’agit de refondre ou moderniser les corpus juridiques et le droit positif, le droit comparé est un outil précieux. Pourquoi réinventer la roue !? Les principes UNIDROIT sont à ce titre particulièrement précieux. Ces principes relatifs aux contrats du commerce international ont été établis par l’Institut International pour l’unification du droit privé à partir de 1971. La dernière édition des règles UNIDROIT date de 2010 [3]. Le site UNIDROIT est accessible en langue anglaise et française, pas de jaloux (www.unidroit.org/fr) !

Une organisation intergouvernementale indépendante

UNIDROIT est une organisation intergouvernementale indépendante ayant pour objet « d’étudier des moyens et méthodes en vue de moderniser, harmoniser et coordonner le droit privé – en particulier le droit commercial – entre des Etats ou des groupes d’Etats et, à cette fin, d’élaborer des instruments des droits uniformes, des principes et des règles ». 63 États ont adhéré au statut organique de l’organisation qui dispose d’un secrétariat, un conseil de direction et une assemblée générale. Cette dernière vote le budget annuel de l’Institut et approuve son programme de travail. L’Institut est financé par les contributions des États membres et le gouvernement italien.

Au-delà des euros et dollars, c’est la matière grise et l’énergie d’universitaires, de fonctionnaires et de praticiens passionnés, souvent bénévoles, qui portent l’Organisation et contribuent à son rayonnement; ainsi le Professeur J Bonell, ou, parmi les francophones, Madame Frédérique Mestre et les Professeurs Fontaine et Fauvarque-Cosson. UNIDROIT entretient d’étroites relations avec La Conférence de La Haye de droit international privé et La Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI).

Applicabilité des Principes UNIDROIT

Il s’agit d’une codification dépourvue de force obligatoire (« non-binding codification », « droit souple » ou « droit virtuel »). Le préambule d’UNIDROIT prévoit toutefois que les Principes peuvent recevoir application s’ils ont été expressément désignés par les parties (autonomie de leur volonté), mais aussi lorsqu’elles ont indiqué que leur contrat sera régit par les Principes généraux du droit et la Lex mercatoria. Si un arbitre peut trancher un litige conformément aux Principes UNIDROIT, ceux-ci ne peuvent servir de normes de référence à un juge judiciaire (prohibition de l’article 3 du Règlement Rome 1 du 17 juin 2008). Les principes UNIDROIT ont aussi une fonction de modèle pour les États désireux de moderniser leurs législations, notamment le droit des contrats.

Quels principes ?

Les principes et articles UNIDROIT font l’objet de commentaires « officiels », facilitant leur interprétation. L’approche rappelle les gloses élaborées par les scolastiques au Moyen âge pour le Corpus juris civilis ou le Corpus juris canonici. Retour aux sources du Ius-commune ?! S’agissant des principes eux-mêmes, les juristes feront leur miel des synthèses, approches comparées et compromis permettant d’appréhender les concepts (transgéniques !) de « Bonne foi » (article 1.7), « Force obligatoire du contrat » (article 1.3), « Interdiction de se contredire » (article 1.8), ou encore l’« Interprétation et comblement des lacunes » (article 1.6).

Le principe de « liberté contractuelle » est rappelé avec force: « Le principe de la liberté contractuelle revêt une importance fondamentale dans le contexte du commerce international. Le droit des opérateurs commerciaux de décider en toute liberté à qui offrir leurs marchandises ou services et de qui les recevoir, ainsi que la possibilité pour eux de s’entendre librement sur les dispositions de chaque contrat, sont les pierres angulaires d’un ordre économique international ouvert, orienté vers le marché et concurrentiel » (article 1.1). Un rappel similaire est formulé (c’est une grande première !) par l’article 2 de l’avant-projet de réforme du droit français des obligations, mais de façon moins exclusive; la liberté c’est bien, mais « dans les limites fixées par la loi  » et, sans déroger « aux règles qui intéressent l’ordre public…»  Restons français !

Le chapitre 6 des Principes UNIDROIT est consacré aux clauses de hardship, un sujet aussi passionnant qu’épineux. Saint Thomas plaçait la barre très haut : «C’est en vertu de l’honnêteté que dans toutes ses promesses l’homme est lié à l’homme ». Selon les Principes, « Il y a hardship lorsque surviennent des événements qui altèrent fondamentalement l’équilibre des prestations, soit que le coût de l’exécution des obligations ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué, et (a) que ces événements sont survenus ou ont été connus de la partie lésée après la conclusion du contrat; (b) que la partie lésée n’a pu, lors de la conclusion du contrat, raisonnablement prendre de tels événements en considération; (c) que ces événements échappent au contrôle de la partie lésée; et (d) que le risque de ces événements n’a pas été assumé par la partie lésée » (article 6.2.2). L’avant-projet sus visé introduit indirectement un principe d’imprévision, mais en privilégiant une optique de « renégociation », compliquée et peu réaliste (article 104, « Changement de circonstances »). La « force obligatoire des conventions » noyée dans le Canal de Craponne ?!

Etudes, Projets et Instruments mis en œuvre par UNIDROIT

Pour les praticiens, 11 clauses-types sur l’utilisation des Principes pendant l’exécution du contrat  ou en cas de litige, sont disponibles. Depuis sa création, UNIDROIT a élaboré près de soixante-dix études et projets. Beaucoup ont abouti à des instruments internationaux; conventions internationales, lois types ou guides contractuels. Citons sans être exhaustif, la Convention du Cap relative aux garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobile (2001), une convention des droits des détenteurs de titres intermédiaires pour permettre l’interopérabilité juridique sur les marchés financiers (2009), la Convention UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés.

Les Principes ALI/UNIDROIT de procédure civile transnationale, préparés conjointement avec l’American Law Institute, bien que non formellement adoptés, visent à concilier les différences des règles nationales de procédure civile, en tenant compte des particularités du contentieux international au regard du contentieux interne. Tout récemment (janvier 2015) un groupe de travail restreint d’UNIDROIT s’est penché sur les contrats à long terme, et doit compléter l’article 2.1.15 des Principes qui impose une obligation de « ne pas négocier de mauvaise foi ». Tout un programme… Comment concilier le nécessaire respect de la parole donnée avec un minimum de « solidarisme contractuel » ?[4] Le Professeur Ghestin, dans une chronique restée célèbre, proposait « L’utile et le juste dans les contrats » (Dalloz 1982, chron p 1). Planiol, plus trivial, estimait dans son ‘Traité pratique’ que : « Le droit ne doit pas se soucier de protéger les imbéciles »…
 
Avec les Principes UNIDROIT, pas de grand soir de l’harmonisation législative universelle, ni de pacte pour l’entente des juristes du monde entier[5], mais plutôt une politique des petits pas. Les optimistes, opposés au nationalisme ou chauvinisme juridique, espèrent que …la guerre des droits n’aura pas lieu… « Concordia discordantium canonum » (la « Concorde des canons discordants »), c’était déjà l’objectif du moine Gratien dans son célèbre Décret, rédigé au milieu du XIIème siècle. Le siège d’UNIDROIT est situé villa Aldobrandini à Frascati, dans le Latium. Chi va piano va sano e va lontano ! 

 
Contact : antoine.adeline@squirepb.com

 


[1] Voir les études « Doing business ». [2] Lire « Défense et illustration du droit d’expression et d’inspiration française » https://larevue.squirepattonboggs.com/Defense-et-illustration-du-droit-d-expression-et-d-inspiration-francaises_a2428.html [3] La première remonte à1994. [4] Cher au Professeur D. Mazeaud. [5] Voir Antoine Adeline,  Marginalia no 18, « Pacta sunt servanda », février 2014, La Revue n°197, p. 30