Projet de directive sur la protection du secret des affaires : COM(2013) 813 final
Supprimé in extremis de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, suite à la volée de bois verts du milieu journalistique, le secret des affaires pourrait bien faire son retour par la voie européenne. En effet, une définition uniforme de la notion de secret d’affaires et une consécration de la protection du secret des affaires pourrait intervenir rapidement au niveau européen via l’adoption d’une directive.
Contexte économique
Les études réalisées par la Commission européenne tendent à démontrer que les risques d’appropriation illicites sont en constante augmentation en raison de facteurs multiples : mondialisation, externalisation, allongement des chaines de production et d’approvisionnement, ainsi que développement des nouvelles technologies de l’information et des communications.[1]
À ce titre, une entreprise sur cinq aurait été victime d’appropriation illicite au sein de l’Union Européenne ces dix dernières années.
Aux dires des entreprises ayant participé à l’étude, l’appropriation ou la tentative d’appropriation de secrets des affaires ont entrainé une baisse des ventes (56%), des coûts d’enquête interne (44%), des frais judiciaires (31%), ainsi que l’augmentation des dépenses de protection des informations (35%).
Ainsi, les objectifs affichés de la proposition de directive sont multiples : (i) pallier à l’hétérogénéité et à la fragmentation actuelles des cadres juridiques ; (ii) encourager la hausse des investissements dans la R&D du secteur privé ; (iii) lever les freins à l’innovation, la compétitivité et la croissance au sein du marché intérieur.
Contexte juridique
La Commission Européenne fait un constat amer concernant la protection des « informations commerciales non divulguées » :trop peu de pays européens, dont la France, prévoient une définition du secret commercial dans leur législation ; les lois en vigueur dans les pays membres de l’Union varient fortement quant à la protection de ces informations (lorsqu’elles en offrent une) ; les entreprises rencontrent des difficultés à appréhender les différences de systèmes juridiques et surtout s’avèrent hésitantes à introduire des recours en justice craignant d’aboutir à un résultat inverse, à savoir la divulgation des informations dont elles cherchent à obtenir la protection lors de leurs recours devant les tribunaux.
Il ressort de l’étude initiée par la Commission Européenne que seule la Suède dispose d’un régime juridique « ad hoc »; les autres États membres ayant recours au droit commun en matière civile et pénale.[2]
De plus, les droits de propriété industrielle traditionnels (brevets, marques, dessins et modèles) s’avèrent partiellement inefficaces, puisqu’ils ne permettent pas de saisir et de protéger l’ensemble des informations et connaissances circulant intra et inter-entreprises. Cela d’autant moins que les coûts de protection induits pas ces droits peuvent se révéler prohibitifs. Ainsi, si les renseignements non divulgués sont utilisés par des entreprises de toutes tailles, ce sont les PME, start-ups et organismes de recherche qui y ont davantage recours.[3]
Ainsi, en insérant la proposition de Directive dans l’initiative « Une Union de l’innovation », elle-même partie intégrante de la stratégie UE 2020, la Commission européenne entend faire du secret des affaires le complétement naturel des droits de propriété industrielle.
Une définition large des secrets d’affaires
Difficile de définir avec précision ce que recouvre la notion de secrets des affaires tant les savoir-faire et informations commerciales non divulgués s’avèrent protéiformes et muables. L’absence même de définition, comme c’est notamment le cas en France, rend la notion d’autant plus difficile à appréhender.
Il est néanmoins possible de distinguer :
- Les secrets techniques : dessins, designs, prototypes, procédés de fabrication, inventions non brevetables ou non brevetés, savoir-faire, formules, recettes, parfums… ; et
- Les secrets commerciaux : listes de clients et de fournisseurs, méthodes commerciales, stratégies, informations en matière de coûts et de prix…
À cet égard, la proposition de directive a l’intérêt de proposer une définition large du secret des affaires. Elle repose sur la réunion de trois conditions cumulatives pour qu’une information puisse être considérée comme un secret d’affaire : (i) elle doit être secrète, i.e. non connue ou non aisément accessible des milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, (ii) l’information doit avoir une valeur commerciale du fait de son caractère secret, (iii) le détenteur doit avoir pris des mesures raisonnables destinées à garder l’information secrète.
Illicéité de l’obtention de l’utilisation et de la divulgation
Le projet sanctionne l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites de secrets d’affaires lorsqu’elles surviennent suite à un accès non autorisé, un vol, un acte de corruption, un abus de confiance, du non-respect ou d’une incitation au non-respect d’un accord de confidentialité ou de tout autre comportement qui, eu égard aux circonstances, est considéré comme contraire aux usagers commerciaux honnêtes.
Sont sanctionnables les personnes qui :
- Ont obtenu le secret d’affaires de façon illicite, ont agi en violation d’un accord de confidentialité ou d’une obligation contractuelle de n’utiliser le secret que de manière limitée ;
- Savaient ou auraient dû savoir au regard des circonstances que ledit secret a été obtenu d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de manière illicite ;
- Ont produit, offert, importé, exporté et mis sur le marché, les produits en infraction de manière intentionnelle et délibérée.
Précisons que toute obtention, utilisation et/ou divulgation n’est pas nécessairement illicite. En effet, celles-ci sont considérées comme licites au sens de la directive dès lors qu’elles procèdent d’une découverte ou d’une création indépendante, d’ingénierie inverse ou de toute autre pratique qui, eu égard aux circonstances, est conforme aux usagers commerciaux honnêtes.
Mesures et procédure prévue au projet de Directive
Dans un délai de deux ans à compter de la date de prise de connaissance de l’atteinte, le requérant pourrait demander des mesures provisoires afin de faire cesser l’atteinte avant jugement au fond.
Au titre des sanctions, la directive prévoit la mise en place d’injonctions et de mesures coercitives (interdiction de divulgation, de production, de mise sur le marché ; rappel des produits en infraction et destruction), ainsi que l’allocation de dommages et intérêts prenant en compte les conséquences négatives, notamment le manque à gagner et les bénéfices injustement réalisés. De manière alternative, les autorités judiciaires pourront fixer un montant forfaitaire de dommages et intérêts.
La directive impose en outre la protection du caractère confidentiel des secrets d’affaires au cours des procédures judiciaires. Elle prévoit ainsi une obligation de confidentialité de tous les intervenants (parties et représentants légaux, témoins, experts et personnels judiciaires).
Se pose dès lors la question de la conciliation de cette nouvelle protection avec certaines mesures d’instructions bien connues, telle que notamment la procédure prévue par l’article 145 du Code de procédure civile qui permet à une partie « s’il existe un motif légitime de conserver ou établir avant tout procès la preuve de faits dont pourraient prétendre la solution du litige » de faire ordonner des mesures d’instruction, et notamment la saisie de documents/informations qui seraient susceptibles d’être protégés.
Si le moyen tiré de la violation du secret des affaires ne permet pas de s’opposer automatiquement à une mesure d’instruction ordonnée sur le fondement de l’article 145, le renforcement du secret des affaires par une directive pourrait sans doute avoir une influence sur la difficile conciliation qu’opère la jurisprudence entre le droit à la preuve et la protection des informations confidentielles visant à prémunir les entreprises des atteintes injustifiées à leurs secrets par des entreprises concurrentes…
Contact : laure.perrin@squirepb.com
[1] Study on Trade Secrets and Confidential Business Information in the Internal Market, April 2013 [2] Ibid. [3] Avis du Comité économique et social européen sur la proposition de directive COM(2013) 813 final – 2013 :0402 (COD)