Plus que quelques jours pour identifier et déclarer ses bénéficiaires effectifs ! Cette nouvelle obligation pour les personnes morales immatriculées au RCS est le fruit de la transposition de la directive européenne relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme[1]. Elle vise à faciliter le suivi d’individus qui se cacheraient derrière des sociétés écrans dans le but d’activités délictueuses. Par un léger « couac » législatif, cette directive a été transposée deux fois en droit français : d’abord par l’ordonnance n°2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, puis à peine dix jours plus tard par la loi n°2016-1691 dite « Sapin 2 » du 9 décembre 2016. Le décret n°2017-1094 du 12 juin 2017 est venu clarifier la situation, en précisant les dispositions de l’ordonnance du 1er décembre 2016 laissant ainsi entendre que celles de la loi Sapin 2 seraient obsolètes.

Les entités concernées sont celles visées par l’article L. 561-46, alinéa 1er, du Code monétaire et financier. Sont donc concernées toutes les sociétés ayant leur siège en France et répondant à la définition de personnalité morale de l’article 1842 du Code civil et les entités devant s’immatriculer au RCS tels que les GIE, mais aussi toutes les sociétés ayant leur siège à l’étranger et disposant d’un établissement en France. En revanche, les sociétés établies en France dont les titres sont « admis à la négociation sur un marché réglementé » échappent au dispositif : ces sociétés doivent déjà se conformer à des obligations de transparence qui, selon le législateur, sont suffisantes concernant les bénéficiaires effectifs. Néanmoins, les filiales non cotées d’une société mère cotée sont assujetties au dispositif.

Le dispositif impose une double obligation à toute entité visée : déterminer ses bénéficiaires effectifs de façon continue et déposer au greffe du tribunal de commerce auquel elle est rattachée des informations « suffisantes, exactes et actuelles » concernant ceux-ci.

La première obligation est l’identification de son (ou ses) « bénéficiaire(s) effectif(s) » au sens de l’article L. 561-2-2 du Code monétaire et financier, soit le(s) individu(s) qui la contrôle(nt) en dernier lieu. Ce sont la ou les « personnes physiques qui contrôlent, directement ou indirectement, le client ou de celle pour laquelle une transaction est effectuée ou une activité réalisée ». Pour les sociétés, cela correspond à la ou les personnes physiques qui détiennent directement ou indirectement plus de 25% du capital ou des droits de vote de la société, ou qui « exercent, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d’administration ou de direction de la société ou sur l’assemblée générale de ses associés »[2].

Des incertitudes demeurent quant à cette notion de bénéficiaire effectif, l’ordonnance du 1er décembre disposant qu’un décret doit venir préciser « la définition et les modalités de détermination du bénéficiaire effectif ». Sa parution se faisant encore attendre, de nombreux points sont encore à éclaircir. Parmi ceux-ci :

  • le cas de la détention « indirecte » de sociétés, c’est-à-dire en la présence d’une chaîne de détentions : la méthode de calcul de cette détention n’est pas précisée, l’AMF et l’ACPR[3] s’étant prononcées en faveur de la méthode dite « du produit » (consistant à multiplier à chaque niveau les pourcentages de participation en capital social ou en droit de vote) ; toutefois, sachant que le Conseil d’Etat juge que le critère du produit n’est applicable que s’il est expressément prévu par la loi (ce qui n’est pas le cas en l’occurrence), il serait opportun que le décret précise la méthode à adopter ;
  • la question de la détention ultime va se poser avec des structures tels que les fonds privés de personnalité morale : faudra-t-il, à défaut de désigner la détention au niveau du fonds lui-même, désigner la société de gestion du fonds et donc ses actionnaires personnes physiques ? Ou bien désigner les membres personnes physiques du fonds ? Opter pour les souscripteurs du fonds semble plus approprié, mais il serait opportun de clarifier cette question ;
  • la notion de contrôle, pour l’instant assimilée comme étant celle de l’article L. 233-3 du Code de Commerce, pourrait être plus clairement définie avec un renvoi direct ; la formule « par tout autre moyen » étant au demeurant très floue. En attendant, l’ANSA préconise que le contrôle des organes renverrait aux alinéas 3 et 4 de l’article L. 233-3, I[4] dudit Code : cela reste à confirmer par le décret ;
  • la détention ultime par une société mère cotée : bien que les sociétés cotées françaises soient exemptées du dispositif, celui-ci n’échappe pas à leurs filiales directes ou indirectes non cotées. Celles-ci devront déclarer leurs(s) bénéficiaire(s) effectif(s) ; ce qui pourrait revenir indirectement à identifier et déclarer ceux de la société mère (d’autant plus qu’il est préconisé que les sociétés filles pourront à cet effet utiliser le document de référence publié par leur mère). Quant aux filiales françaises d’une société mère étrangère cotée, sachant que les sociétés mères étrangères non cotées ne sont pas soumises au dispositif, il nous semble que la réserve susvisée ne soit alors pas applicable. En d’autres termes, toute société cotée étrangère devrait être traitée comme toute société étrangère non cotée ?

Cette obligation d’identification du bénéficiaire effectif, bien qu’elle ne soit pas expressément sanctionnée par les textes si elle n’est pas respectée, relève d’une obligation de moyens – on pourrait supposer que la responsabilité civile du dirigeant pour faute envers la société pourrait être retenue s’il faisait défaut à cette obligation. La directive européenne précise que s’il n’est pas possible de déterminer un bénéficiaire effectif, le dirigeant représentant légal de la société est considéré « par défaut » comme bénéficiaire effectif : cet élément n’a pas été transposé dans le dispositif français, et reste un point déterminant à éclaircir. Il est cependant préconisé par le Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce.

Une fois le (ou les) bénéficiaire(s) effectif(s) déterminé(s), la société ou l’entité doit le(s) déclarer au greffe du tribunal de commerce auprès duquel elle est immatriculée. Cette obligation est entrée en vigueur le 1er août 2017 en ce qui concerne les sociétés ou entités nouvellement immatriculées (ce dépôt se faisant dorénavant conjointement à la demande d’immatriculation au registre), et est obligatoire avant le 1er avril 2018 pour celles déjà immatriculées. Elle consiste au dépôt d’informations précises sur la structure, le (ou les) bénéficiaire(s) effectif(s) et le contrôle exercé par ce(s) dernier(s)[5] . Tout représentant légal de l’entité concernée a l’obligation de mettre ce registre à jour de façon continue, tout changement dans la détention ultime de la société devant être déposée dans les trente jours suivant celui-ci.

Le défaut de dépôt est sanctionné en deux temps. D’abord sur le plan civil, une procédure d’injonction est prévue par le législateur[6] : le président du tribunal peut enjoindre, éventuellement sous astreinte, « à l’entité concernée de déposer le document, d’office ou à la requête du parquet ou de toute personne justifiant d’un intérêt ». À défaut, une procédure pénale peut être enclenchée par le procureur de la République : le défaut de dépôt au greffe ou le fait de « déposer un document comportant des informations inexactes ou incomplètes » est puni de six mois d’emprisonnement et jusqu’à 37 500€ d’amende, ainsi que de peines complémentaires (interdiction de gérer ou privation partielle de droits civils et civiques)[7] . La doctrine est encore hésitante quant à savoir si le défaut de dépôt peut entraîner un refus d’immatriculation, mais étant donné que ce n’est pas une pièce conditionnant celle-ci, on pourrait supposer que ce n’est pas le cas.

Sur l’accès à ce registre de bénéficiaires effectifs, le dispositif de la loi Sapin 2 prévoyait un libre accès de certaines informations au public, soulevant de vives inquiétudes de la part des praticiens. En pratique, la loi du 1er décembre 2016 et son décret d’application du 12 juin 2017 sont plus restrictifs, limitant l’accès aux représentants légaux de l’entité, à 18 autorités dans le cadre de leur mission (ex : AMF, Douanes, magistrats, Direction Générale des Finances Publiques…) et aux personnes ayant besoin de ces informations dans le cadre de leurs fonctions de lutte contre le blanchiment ou le financement du terrorisme. Néanmoins, « toute autre personne justifiant d’un intérêt légitime et autorisée par le juge » pourra déposer une requête afin d’avoir accès aux documents[8].

Ce dispositif, qui joue un rôle clé au sein des procédures judiciaires ou administratives pour remonter aux individus se cachant derrière des sociétés écrans afin de mener des activités délictueuses, met en place une double obligation non négligeable pour les dirigeants. Il mériterait néanmoins d’être rapidement éclairé par un décret définissant précisément les modalités de détermination des bénéficiaires effectifs… À suivre.
Contact : florence.cotillon@squirepb.com
 

 


[1]Directive européenne UE 2015/849 du 20 mai 2015
[2] Article R. 561-1 du Code monétaire et financier
[3] ACPR : « Lignes directrices sur les bénéficiaires effectifs » (sept. 2011) ; AMF : recommandation n°2013-05
[4] Recommandation ANSA du 19 juin 2017 (n°17-020) ; « 3° Lorsqu’elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ; 4° Lorsqu’elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de cette société. »
[5] Les informations requises sont détaillées à l’article R. 561-56 du Code monétaire et financier
[6] Article L. 561-48, al.1, du Code monétaire et financier
[7] Article L. 561-49 du Code monétaire et financier
[8] Article L.561-46 du Code monétaire et financier