I. Principe général de prohibition et monopole étatique
Historiquement, et selon l’emblématique loi du 21 mai 1836, récemment codifiée, « les loteries de toute espèce sont prohibées » (article L322-1 du Code de la sécurité intérieur).
A ce titre, est considéré comme une loterie prohibée tout jeu présentant les quatre conditions cumulatives suivantes: l’espérance d’un gain, l’offre au public, la participation financière et l’intervention du hasard. Si l’une fait défaut, le jeu ne rentre pas dans le régime strict des loteries prohibées.
En contrepartie de cette interdiction générale, l’organisation de loteries en France est l’objet d’un monopole détenu par la Française des Jeux, ce qui permet à l’Etat de contrôler les flux financiers.
II. Le contournement pratique de cette prohibition
Certaines exceptions se sont développées progressivement, notamment lorsque l’accès à la loterie n’engageait pas de sacrifice financier de la part du participant. Ainsi les loteries gratuites ou sans obligation d’achat ont toujours été considéré comme tout à fait légales.
Afin d’éviter l’écueil de l’illicéité des loteries avec participation financière, certains opérateurs ont trouvé une parade et mis en place des loteries dites « à double accès » ou encore « à double entrée », ce afin de promouvoir un concept ou un produit.
Les consommateurs avaient ainsi la possibilité de participer à la loterie par le biais de deux canaux :
– un premier « payant », synonyme d’achat d’un produit, et
– un deuxième « gratuit » : participation sur papier libre, bon de participation ou ticket grattage remis gratuitement sur simple demande.
On a tous à l’esprit ce type de jeu couramment proposé par la grande distribution, certaines chaines de fast-food ou des marques ayant pignon sur rue.
La jurisprudence a considéré que l’organisation d’une loterie dite « à double entrée » était réputée ne pas comporter d’obligation d’achat et donc ne tombait pas sous le coup de la loi du 21 mai 1836 ; cette loterie était alors parfaitement valable (notamment T. Com Paris, 26 juil. 1995 : Gaz. Pal. 1995, 2, somm. P.597 ; CA Paris, 14 nov. 2003 : JurisData n°2003-234598).
Ce type de contournement illustrait toutefois le « malaise » existant et les limites de la prohibition générale, notamment dans le cadre de loteries à visée publicitaire ou commerciales.
III. Vers une ouverture de la pratique des loteries commerciales et publicitaires : l’impulsion de l’Union Européenne
La situation française était loin d’être une exception dans ce domaine spécifique.
La Cour de justice de l’Union européenne a ainsi rendu un arrêt le 14 janvier 2010 (CJUE, 14 janv. 2010, aff. C-304/08 : JurisData n° 2010-003669) à propos d’une loterie commerciale organisée par un opérateur allemand qui a ouvert une brèche dans la réglementation interdisant les loteries commerciales purement payantes.
La Cour a reconnu comme licite le fait pour une entreprise d’avoir organisé une opération promotionnelle dans le cadre de laquelle le public était invité à acheter des produits vendus dans ses magasins afin de collecter des points : pour 100 euros d’achat, le consommateur cumulait 20 points lui donnant la possibilité de participer gratuitement au tirage du loto national.
La France n’avait plus alors qu’à franchir le pas en adoptant une réglementation adéquate et conforme au principe précité.
IV. La licéité des loteries conditionnées à une obligation d’achat.
Pour faire suite aux pressions exercées par la Commission et la CJUE, l’Etat français a dû se résoudre à libéraliser le secteur des loteries.
Ainsi la loi du 17 mai 2011 dite « loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit », est venue modifier le Code de la consommation, et rendre licite les loteries commerciales et publicitaires conditionnées à une obligation d’achat.
Dorénavant, l’article L.121-36 alinéa 1er du Code de la consommation précise que :
« Les opérations publicitaires réalisées par voie d’écrit qui tendent à faire naître l’espérance d’un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités de tirage au sort, ne peuvent être pratiquées que si elles n’imposent aux participants aucune contrepartie financière ni dépense sous quelque forme que ce soit. Lorsque la participation à cette opération est conditionnée à une obligation d’achat, la pratique n’est illicite que dans la mesure où elle revêt un caractère déloyal au sens de l’article L. 120-1.
Le bulletin de participation à ces opérations doit être distinct de tout bon de commande de bien ou de service »
Si le principe est acquis et qu’il n’est plus besoin de prévoir une entrée « gratuite », la validité d’une loterie conditionnée à une obligation d’achat n’est pas absolue.
Celle-ci n’est valable que dans la limite où elle n’est pas considérée comme « déloyale ». La notion de pratique déloyale doit être entendue comme toute pratique « contraire aux exigences de la diligence professionnelle [dès lors] qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service ». Cette définition théorique devrait susciter moultes débats et interrogations lorsqu’il faudra juger de son application en pratique.
On peut avancer que l’achat du produit doit rester primordial dans l’opération d’achat et que s’il devenait secondaire (la participation à la loterie étant la motivation principale de l’achat), cette opération serait alors déséquilibrée et la loterie pourrait revêtir un caractère déloyal. La loterie se doit de rester un accessoire à l’opération commerciale d’achat et n’avoir qu’un but promotionnel.
En principe, seules sont concernées les loteries réalisées par le biais d’un écrit (bon de participation), à l’inverse, les loteries proposées verbalement, c’est-à-dire par le biais du téléphone, de la radio ou encore de la télévision resteraient soumises au régime de la prohibition précitée.
En outre, il est important de noter que la règlementation des jeux d’argent et de hasard en ligne (sur internet) issue de la loi du 12 mai 2010 ne concerne pas les loteries, qui restent donc prohibées sur ce support sauf dans le cadre du monopole précité.
Ces points devraient rapidement faire l’objet de débats car ils constituent de facto une limitation que ne prévoient pas les textes européens. Il existe donc une zone « grise », déjà largement exploitée par les opérateurs et les marques dans l’élaboration de leur plan média, ces dernières étant désireuses de multiplier les supports de communication et Internet étant aujourd’hui un support incontournable.