« L’article 15 du Code civil ne consacre qu’une compétence facultative de la juridiction française, impropre à exclure la compétence indirecte d’un tribunal étranger, dès lors que le litige se rattache de manière caractérisée à l’Etat dont la juridiction est saisie et que le choix de la juridiction n’est pas frauduleux. » (arrêt Prieur, Cass. 1ère ch. civ. 23 mai 2006)

« L’article 14 du Code civil n’ouvre au demandeur français qu’une simple faculté et n’édicte pas à son profit une compétence impérative, exclusive de la compétence indirecte d’un tribunal étranger déjà saisi et dont le choix n’est pas frauduleux. » (arrêt Fercométal, Cass. 1ère ch. civ. 22 mai 2007)

Les articles 14 et 15 fondent la compétence des juridictions françaises sur la nationalité française de l’une des parties, qu’elle soit demanderesse ou défenderesse. Le jeu de ces articles est exclu pour les matières régies par des conventions internationales ou par des règlements communautaires.

S’agissant d’un demandeur français, l’article 14 du Code civil lui permet, s’il le souhaite, d’éviter la saisine du juge étranger du domicile du défendeur en saisissant le juge français. L’article 15, quant à lui, permet au demandeur étranger d’attraire son adversaire de nationalité française devant les tribunaux français. Toutefois, cette compétence directe offerte au demandeur étranger d’assigner un français devant les juridictions françaises a toujours constitué aux yeux de la jurisprudence une compétence exclusive. Autrement dit, celle-ci permettait au plaideur français ayant été condamné à l’étranger d’empêcher la décision étrangère de produire ses effets en France en invoquant la compétence exclusive des tribunaux français seuls compétents en application de l’article 15 du Code civil.

En ce qui concerne leur domaine d’application, les dispositions des articles 14 et 15 du Code civil sont applicables dès lors que l’une des parties au litige, qu’elle soit une personne physique ou morale, est de nationalité française. Pour ce qui est de leur portée, les articles 14 et 15 s’appliquent à toutes les matières, à l’exception des actions réelles immobilières, des demandes en partage portant sur des immeubles situés à l’étranger ainsi que sur des voies d’exécution pratiquées hors de France (Cass. 1ère civ. 27 mai 1970, rev. crit. DIP 1971, p. 113, note H. Batiffol). Par le jeu de ces dispositions exorbitantes, la compétence des tribunaux français était assurée chaque fois que la mise en oeuvre des règles ordinaires de compétence ne débouchait pas sur la compétence des juridictions françaises. Ainsi par exemple, la victime française d’un accident de la circulation qui s’est produit à l’étranger pouvait attraire l’auteur de l’accident devant les tribunaux français bien que les règles de compétence françaises ordinaires désignent les tribunaux du pays du domicile de l’auteur de l’accident ou ceux du lieu où ce dernier s’est produit. En somme, les articles 14 et 15 réservent la compétence des juridictions françaises en présence d’un plaideur français.

Facultatifs pour les parties qui restent libres de ne pas s’en prévaloir, les articles 14 et 15 s’imposaient aux juges lorsque leur application est réclamée par l’une des parties. Dans ce cas, les juges ne sauraient se déclarer incompétents et ce bien que le litige entretienne des liens plus forts avec un autre pays que la France.

L’aspect le plus contestable de cette compétence extraordinaire consiste à permettre au plaideur français de tenir en échec une décision étrangère parfaitement régulière mais qui a eu le tort de le condamner. Aussi, dans de nombreux contrats internationaux, les cocontractants étrangers exigeaient de leurs partenaires français de renoncer expressément à ces deux privilèges. Ayant mauvaise presse à l’étranger, les articles 14 et 15 véhiculent une image assez détestable des règles françaises de conflits de juridictions (B. Ancel, Y. Lequette, Grands arrêts DIP., Dalloz, 2006, 5ème édition, p. 764) .

Désormais, l’article 15 du Code civil ne suffit plus à remettre en cause la compétence d’un juge étranger lorsque le litige se rattache de manière caractérisée à un pays étranger. La solution présente l’avantage de ne pas refuser au juge étranger une compétence incontestable que l’on reconnaît à un juge français saisi dans les mêmes conditions. Le privilège de compétence indirecte naguère offert aux plaideurs de nationalité française leur permettant de torpiller les effets d’une décision étrangère est désormais révolue (Cass, 1ère ch. civ., 23 mai 2006, D. 2006, p. 1364, chr. B. Audit). Il en va de même pour le privilège de l’article 14. certes, cette disposition s’impose au juge lorsque le plaideur de nationalité française en invoque l’application. En revanche, le juge n’est plus obligé de le soulever d’office pour fonder sa compétence lorsque le plaideur français ne l’a pas invoqué (Cass, 1ère ch. civ., 22 mai 2007, Rev. crit. 2007, p. 610, note H. Gaudemet-Tallon).

L’abandon par la jurisprudence de ces deux chefs de compétence exclusive était attendue par l’ensemble de la doctrine. Et pour cause : il était devenu franchement déplacé de refuser la reconnaissance et l’exequatur à des décisions étrangères au seul motif que le défendeur était de nationalité française. La règle posée par l’article 15 s’est au fil du temps transformée en une faveur « obligatoire » pour les plaideurs étrangers opposés à des personnes de nationalité française (En ce sens que le plaideur étranger devait venir plaider en France pour avoir une chance d’obtenir la reconnaissance ou l’exequatur d’une décision susceptible de condamner son adversaire français). Or, l’on s’accorde à dire depuis l’arrêt Simitch (Cass, 1ère ch. civ., 6 février 1985, D. 1985, p. 469, note J. Massip) que la compétence indirecte est établie dès lors que le litige se rattache de manière caractérisée au tribunal ayant rendu la décision. Deux hypothèses se profilent alors :

1/ Soit le litige se rattache de manière caractérisée (domicile des parties, situation des biens à l’étranger…) au tribunal étranger et, dans ce cas, la seule présence d’un plaideur de nationalité française ne doit rien changer quant à la compétence objective du juge étranger (Après tout, les plaideurs de nationalité étrangère ne sont pas admis en France à se prévaloir de cette qualité pour évincer la compétence du juge français fondée sur des critères objectifs de compétence).

2/ Soit la compétence du juge étranger est fondée sur des critères fragiles ou fantaisistes et, dans ce cas, sa décision ne sera pas reconnue en France puisque sa compétence est sans fondement.
L’article 15 n’aurait alors aucun rôle à jouer.

L’on ne peut que s’en réjouir.