La Cour de cassation a mis en place, depuis plusieurs mois, de multiples groupes de réflexion, en vue d’aboutir à une réforme profonde de son fonctionnement[1].

L’idée, largement diffusée à l’occasion d’interventions et de conférences diverses, serait de transformer le rôle de la Cour de cassation en Cour Suprême, qui procèderait à une sélection préalable des pourvois sur la base de critères discrétionnaires tenant, pour l’essentiel, à l’intérêt juridique de la question posée[2].

La mission première de la Cour de cassation serait totalement bouleversée, puisqu’elle consisterait désormais à créer des normes juridiques nouvelles et à mettre fin aux instabilités jurisprudentielles. En revanche, le contrôle de l’application de la loi et de la qualité des décisions de justice, qui constitue historiquement sa mission première, serait abandonné.

La Cour de cassation abdiquerait ni plus ni moins sa mission de gardienne de l’application uniforme du droit sur le territoire national pour préserver son prestige, qu’elle pense, à tort, largement entamé par le particularisme de son office – elle n’est pas un troisième degré de juridiction – et la concurrence d’autres juridictions sur le terrain, notamment, des droits fondamentaux : Conseil constitutionnel[3], Cour européenne des droits de l’homme, Cour de justice de l’Union européenne.

Plusieurs propositions de réforme sont envisagées.

Celle qui semble avoir la faveur de la Cour de cassation, et qui trouve certains relais, est la plus alarmante : la Cour de cassation choisirait elle-même les affaires à juger, sur la base de critères particulièrement flous (intérêt juridique de la question posée, question nouvelle, etc…), indépendamment même de savoir si le droit a ou non été correctement appliqué, à l’image de ce que pratiquent – mais dans le cadre d’une organisation judiciaire bien différente de la nôtre – les cours suprêmes anglo-saxonnes[4].

Un tel projet de réforme est dangereux pour les justiciables, en ce qu’il conduirait la Cour à abandonner l’exercice du contrôle dit « disciplinaire », qui porte sur le respect de l’office du juge d’appel.

Cesser ce contrôle, c’est accepter que le droit ne soit plus appliqué uniformément en France.

Un juge pénal pourra prononcer une peine sans répondre à un moyen de défense essentiel, un juge prud’homal allouer à un salarié moins que le plancher légal en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans que cela ne puisse être redressé par la Cour de cassation, puisque le pourvoi ne présenterait aucun intérêt juridique particulier et ne poserait aucune question nouvelle.

Plus grave, ce serait permettre la création de jurisprudences locales, puisqu’il n’y aurait plus de contrôle effectif et systématique sur la bonne application du droit. Comment expliquer au justiciable que ce qui a été jugé à Paris n’est pas ce qui aurait pu l’être à Montpellier, Douai, Colmar ou Bordeaux ?

Par ailleurs, la finalité même de la réforme est contestable : il s’agirait de hisser la Cour de cassation à un niveau où elle exercerait une fonction normative comparable à celle des autres juridictions « suprêmes » (Cour européenne des droits de l’homme, Cour de justice de l’Union européenne, Conseil constitutionnel), voire à celle du législateur lui-même.

Or, plus que jamais, en présence de nombreuses autres cours, nous avons besoin d’une cour régulatrice, capable de créer un continuum jurisprudentiel précieux à la sécurité juridique et indispensable à la préservation de l’État de droit.

En définitive, la réforme serait destructrice du principe fondamental d’égalité devant la loi[5].
Si, cependant, une amélioration du fonctionnement des cours et tribunaux et de leurs moyens paraît nécessaire[6], rien ne justifie de prendre le risque de déstabiliser profondément le fonctionnement de ce rouage indispensable de l’État de droit et de la sécurité juridique qu’est la Cour de cassation.

Face à la montée en puissance, tout à fait logique et prévisible, du rôle de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne, d’une part, et dans une moindre mesure du Conseil constitutionnel d’autre part, aujourd’hui plus encore qu’hier, se fait ressentir le besoin d’un juge de cassation dédié à sa fonction particulière et à sa mission historique d’uniformité de la règle de droit et de garantie de l’égalité des citoyens devant la loi et la justice, qui reste au cœur du pacte social et de la conception française de la séparation des pouvoirs.

Contact : carole.sportes@squirepb.com    


[1] J. Cossardeaux, La réforme de la Cour de cassation fait des vagues, Les Echos, 10 juin 2015 [2] B. Louvel, La Cour de cassation face aux défis du XXIe siècle, discours mars 2015 [3] M. Guillaume, Avec la QPC, le Conseil constitutionnel est-il devenu une Cour suprême ?, JCP 2012 doct. 722 [4] Commission de réflexion – filtrage des pourvois : séance plénière, débat sur un rapport d’étape, 28 mai 2015 [5] J.-F. Wéber, L’accès au juge de cassation et le traitement des pourvois par la Cour de cassation française, in L’accès au juge de cassation, Colloque SLC 15 juin 2015 [6] S. Guinchard, F. Ferrand et T. Moussa, Une chance pour la France et le droit continental : la technique de cassation, vecteur particulièrement approprié au contrôle de conventionnalité, D. 2015, chron. 278