Cass. Ass. Plen. 13 septembre 2017, n° 15-28.569

Lorsque l’employeur envisage de modifier un élément essentiel du contrat de travail pour l’un des « motifs économiques » énoncés à l’article L.1233-3 du Code du travail, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre informe le salarié qu’il dispose d’un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. À défaut de réponse dans le délai d’un mois, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée (article L.1222-6 du Code du travail).

L’article L.1233-3 du Code du travail dispose que « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une […] modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutive notamment à des difficultés économiques, la réorganisation de l’activité nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ou la cessation d’activité de l’entreprise ».

Tous les « motifs non inhérents à la personne du salarié » (les motifs économiques y compris mais pas seulement) exigent-ils de l’employeur qu’il observe les formalités de l’article L. 1222-6 du Code du travail, lorsqu’il envisage de modifier le contrat de travail d’un salarié ? La réponse est importante dans la mesure où le manquement au formalisme prescrit par cet article l’empêche de se prévaloir de l’acceptation ou du refus du salarié pour en tirer les conséquences. En cas de refus, le licenciement prononcé sera par exemple sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 25 janvier 2006 n°03-46.794). En cas d’acceptation, l’employeur restera lié par les conditions contractuelles antérieures et ne pourra pas imposer la modification proposée si le salarié a gardé le silence pendant plus d’un mois par exemple.

La position de la Cour de cassation était jusqu’alors difficile à interpréter :

    • Cass. soc. 6 octobre 2010, n° 09-42.743 : la modification du contrat de travail pour un « motif non inhérent à la personne du salarié » (reposant en l’espèce sur le pouvoir de direction de l’employeur) est réputée fondée sur un motif économique et oblige l’employeur à respecter les prescriptions de l’article L. 1222-6 du Code du travail. À défaut, l’employeur reste tenu par les dispositions contractuelles antérieures ;
    • Cass. soc. 17 novembre 2010 n° 09-42.120 : l’application du formalisme de l’article L. 1222-6 du Code du travail n’est pas requise si la modification du contrat n’intervient pas pour l’un des « motifs économiques » énoncés à l’article L. 1233-3 du Code du travail ;
  • Cass. soc. 3 mai 2012 n° 10-27.427 et 10-27428 : confirmation de la jurisprudence du 6 octobre 2010 exigeant le respect des dispositions de l’article L. 1222-6 du Code du travail en cas de proposition de modification du contrat pour un « motif non inhérent à la personne du salarié ». À noter que contrairement aux décisions rendues en 2010, dans les deux cas d’espèce de 2012, les modifications de contrats opérées (modification de fonctions et de rémunération) sans respecter les formalités prévues par l’article L. 1222-6 du Code du travail reposaient sur un motif économique (sauvegarde de l’entreprise).

Par arrêt du 13 septembre 2017 (n° 15-28.569), la Cour de cassation – prise en sa formation plénière – clarifie sa position et adopte une lecture restrictive des conditions d’application de l’article L. 1222-6 du Code du travail. Elle abandonne ainsi la seule référence au « motif non inhérent à la personne du salarié », comme critère de qualification.

En l’espèce, un salarié avait signé un avenant à son contrat de travail prévoyant la réduction de son salaire et de ses droits d’auteur. Considérant que son avenant était irrégulier puisqu’il n’avait pas été régularisé dans les formes prescrites par l’article L.1222-6 du Code du travail, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale pour obtenir un rappel de salaire et de congés payés y afférents. Le salarié avait obtenu gain de cause en première instance. Pour infirmer le jugement, la Cour d’appel avait considéré que l’article L.1222-6 du Code du travail ne s’applique pas à toutes les modifications de contrat de travail mais seulement à celles qui sont envisagées dans un contexte économique (i.e. projet de licenciement(s) économique(s) mis en œuvre notamment en cas de difficultés économiques), ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La Cour de cassation confirme cette interprétation et décide qu’une proposition de modification du contrat de travail n’emporte l’application de l’article L.1222-6 du Code du travail que lorsqu’elle est proposée pour l’un des motifs économiques énoncés à l’article L.1233-3 du Code du travail.

Par cette décision, la Cour entend donc marquer une différence de traitement entre l’offre de modification du contrat de travail justifiée par des raisons non disciplinaires et les conséquences potentielles d’un éventuel refus.

En effet, en pratique cela signifie que :

    • si la modification du contrat de travail repose sur un motif non inhérent à la personne du salarié justifié par une cause économique au sens de l’article L.1233-3 du Code du travail (i.e. difficultés économiques, mutations technologiques…), l’employeur devra respecter le formalisme de l’article L.1222-6 du Code du travail (proposition de la modification par courrier RAR assortie d’un délai de réflexion d’un mois à l’issue duquel son acceptation sera tacite en cas de silence gardé) pour pouvoir valablement tirer les conséquences du refus ou de l’acceptation du salarié ;
  • si au contraire, la modification du contrat de travail repose sur un motif non inhérent à la personne du salarié, donc économique mais sans entrer dans le champ de l’article L.1233-3 du Code du travail (par exemple bonne gestion de l’entreprise…), préalablement à la signature d’un avenant et donc à une acceptation expresse de la modification proposée, le salarié sera obligatoirement informé des conséquences de son acceptation ou de son refus mais l’information ne sera pas soumise à des conditions de forme précises, si ce n’est l’obligation de respecter un délai de réflexion suffisant pouvant être inférieur à un mois.

Bien que les conditions de forme de la modification proposée soient donc différentes, dans les deux situations, en cas de refus, le salarié s’expose à ce qu’une mesure de licenciement, qui ne peut être qu’économique, soit prise à son endroit.

En effet, la Cour de cassation juge constamment depuis 1997 qu’un licenciement prononcé pour un motif non inhérent à la personne du salarié constitue un licenciement pour motif économique, peu important qu’il résulte d’un motif économique au sens de l’article L.1233-3 du Code du travail (Cass. soc. 14 mai 1997 n° 94-43.712 : licenciement prononcé à la suite d’un refus de mutation justifiée par la bonne gestion de l’entreprise ; Cass. soc. 10 janvier 2017 n° 14-26.186 FS-D : licenciement prononcé à la suite d’un refus de mutation proposée en l’absence de motivation économique à la délocalisation et alors que les postes des salariés concernés n’étaient pas supprimés). De même, le droit de l’Union européenne régissant les licenciements économiques collectifs (Directive 98/59/CE du 20 juillet 1998 – article 1) caractérise le licenciement économique comme celui qui est effectué « pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs ».

La position prise par la Cour de cassation le 13 septembre 2017 est moins protectrice des intérêts du salarié. En effet, elle le prive des garanties qu’offre l’article L.1222-6 du Code du travail. Ainsi, lorsque l’employeur n’est pas tenu par le formalisme de l’article L.1222-6 du Code du travail, il semble d’autant plus important qu’il accorde un délai de réflexion suffisant au salarié (un minimum de 15 jours voire plus en fonction de la modification envisagée) et l’avise des conséquences éventuelles de son refus, c’est-à-dire qu’un licenciement économique pourra être envisagé.
Cet article a été écrit par Cristelle Devergies-Bouron