La première chambre civile de la Cour de Cassation s’est prononcée par arrêt du 30 janvier dernier sur les conditions dans lesquelles une « suite » peut être apportée à une œuvre littéraire.

L’affaire « des Misérables » oppose un héritier de Victor Hugo à l’écrivain et journaliste François Cérésa, lequel est auteur de deux romans intitulés « Cosette ou le temps des illusions » et « Marius ou le fugitif » édités par les éditions Plon. Les deux romans ayant été présentés comme la suite des « Misérables » de Victor Hugo, la maison d’édition et l’auteur ont été assignés en paiement de 4,5 million de francs de dommages-intérêts pour atteinte au respect dû à l’œuvre.

Les juges de première instance avaient rejeté la demande au motif que Pierre Hugo (l’héritier) n’était pas un ayant droit de l’illustre auteur et avaient cité, non sans humour, Hugo lui-même, lorsqu’il déclarait en 1878 « l’écrivain en tant qu’écrivain n’a qu’un seul héritier, c’est le domaine public ».

Face à la persévérance des héritiers, à laquelle s’ajoute à ce stade la Société des gens de lettres, la cour d’appel de Paris s’incline en accordant un euro symbolique de dommages-intérêts et en interdisant la publication de ces deux romans, jugeant qu’aucune suite ne pouvait être donnée aux « Misérables » sans porter atteinte au droit moral de leur auteur. Pour justifier de l’atteinte au droit moral de Victor Hugo sur cette œuvre, l’arrêt retient qu’il était établi i[« que l’écrivain n’aurait pas accepté qu’un tiers auteur puisse donner une suite aux Misérables […] puisqu’en l’espèce, cette œuvre, véritable monument de la littérature mondiale, d’une part, n’était pas un simple roman en ce qu’elle procédait d’une démarche philosophique et politique, […] et, d’autre part, était achevée, qu’il s’en suivait qu’aucune suite ne pouvait y être donnée […] ».]i

L’arrêt cassé vise d’une part, les articles L. 121-1 et L. 123-1 du code de la propriété intellectuelle, relatifs au respect dû à l’auteur d’une œuvre, c’est à dire à son droit moral qui est perpétuel ; et à la durée de protection de ses droits patrimoniaux, qui eux, se prescrivent 70 ans après le décès de l’auteur, d’autre part, l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif à la liberté d’expression.

Le cadre ainsi fixé, l’attendu de principe pose que « la suite d’une œuvre littéraire se rattache au droit d’adaptation ; que sous réserve du respect du droit au nom et à l’intégrité de l’œuvre adaptée, la liberté de création s’oppose à ce que l’auteur de l’œuvre ou ses héritiers interdisent qu’une suite lui soit donnée à l’expiration du monopole d’exploitation dont ils ont bénéficié. »

De manière très claire, la première chambre civile de la Cour de cassation, confirme le rattachement des suites littéraires au droit d’adaptation, lequel fait partie des droits patrimoniaux de l’auteur, droits dont la durée est limitée à 70 ans après le décès de l’auteur, contrairement au droit moral, qui lui est imprescriptible. Ainsi est illicite et constitue une contrefaçon, toute suite, c’est à dire adaptation, faite sans l’autorisation de l’auteur de l’œuvre ou sans celle de ses ayants droit universels dans les 70 ans de sa mort.

Par la suite, lorsque l’œuvre tombe dans le domaine public (70 ans post mortem), le droit exclusif d’adaptation réservé à l’auteur disparaît et la liberté d’expression, à laquelle se rattache la liberté de création, implique que désormais chacun est libre d’y apporter une suite.

Toutefois subsistera toujours une limite à la liberté de création de l’auteur d’une suite d’une œuvre tombée dans le domaine public, celle du droit au respect du droit moral de l’auteur initial. Néanmoins, pour interdire une œuvre au motif qu’elle viole le droit moral de son auteur primitif, l’atteinte doit être caractérisée. C’est sur ce point que la Haute juridiction a critiqué la Cour d’appel, pour avoir statué « par des motifs inopérants tirés du genre et du mérite de l’œuvre ou de son caractère achevé » et cela « sans avoir examiné les œuvres litigieuses ». En particulier, deux critères permettent de retenir une atteinte au respect dû à l’auteur de l’œuvre, qui sont la dénaturation ou l’altération de l’œuvre originale ou une confusion née sur sa paternité.

L’affaire est aujourd’hui renvoyée devant la Cour d’appel de Paris, mais autrement composée. Les juges d’appel devront donc lire les romans litigieux pour statuer sur leur caractère attentatoire ou non, au droit moral de Victor Hugo.