Le 29 avril 2009, la Cour d’appel de Paris, se prononçant sur renvoi après cassation, a rejeté les recours des sociétés Philips et Sony contre une décision du Conseil de la Concurrence de 2005 qui avait sanctionné une entente entre les deux sociétés et leurs distributeurs respectifs. Ce faisant, la Cour d’appel de Paris a marqué son opposition aux juges de la Cour de cassation sur la question délicate de l’admissibilité des preuves obtenues à l’insu des entreprises visées par l’enquête de concurrence.

Dans sa décision n° 05-D-66, le Conseil de la Concurrence avait considéré recevables en tant qu’éléments de preuve, des enregistrements sonores produits par la saisissante de conversations avec les représentants de fournisseurs ou de grossistes avec lesquels elle était en relation, accompagnée de leur transcription. Les sociétés Philips et Sony avaient fait appel de cette décision, au motif, notamment, que les enregistrements avaient été réalisés à l’insu des auteurs des propos tenus. La Cour d’appel de Paris avait confirmé la décision du Conseil par un arrêt du 19 juin 2007. La Chambre commerciale de la Cour de cassation, en revanche, s’est fermement prononcée contre ce procédé, estimant que l’enregistrement d’une conversation téléphonique réalisée par une partie à l’insu de l’autre constitue un procédé déloyal et irrecevable à titre de preuve en ce qu’il est contraire à l’article 6§1 de la CEDH. Par un arrêt en date du 2 juin 2008, la Cour suprême a donc annulé l’arrêt de la Cour d’appel en renvoyant l’affaire à la même Cour d’appel autrement composée.

Fait suffisamment rare pour être souligné, la Cour d’appel maintient sa position en procédant à une interprétation différente du droit à un procès équitable, tel qu’il est garanti par l’article 6§1 de la CEDH. Ainsi, pour la Cour d’appel la jurisprudence de la Cour européenne de Droits de l’Homme prise en application de l’article 6§1 permet à chaque partie d’un litige de faire connaître les éléments nécessaires au succès de ses prétentions et de prendre connaissance et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge. Cet article, en revanche, exige seulement que la procédure garantisse un procès équitable mais ne concerne pas l’admissibilité des preuves, qui demeure une question régie par le droit national.
Après avoir rappelé qu’en l’absence de règles communautaires spécifiques en matière de preuve, les infractions aux articles 81 et 82 TCE peuvent être établies par tous moyens de preuve admis par les Etats membres, la Cour d’appel applique un raisonnement similaire concernant le cadre réglementaire national. En se penchant sur les règles procédurales françaises, la Cour évoque la différence des objectifs poursuivis par les dispositions de procédure civile et la procédure appliquée devant le Conseil de la concurrence. Ayant une mission de protection de l’ordre publique économique, ce dernier « exerce des poursuites à fins répressives le conduisant à prononcer des sanctions punitives ». Par conséquent, selon la Cour d’appel, les dispositions du code de procédure civile ne trouvent pas à s’appliquer devant cette autorité administrative indépendante, qui jouit d’une autonomie procédurale.

L’admissibilité d’un élément de preuve doit donc, pour la Cour d’appel, être appréciée en fonction des fins poursuivies et des droits des parties auxquelles cet élément de preuve est opposé. Un élément de preuve obtenu déloyalement sera donc exclu du débat seulement s’il a concrètement porté atteinte au droit à un procès équitable, au principe du contradictoire et aux droits de la défense de ceux auxquels il est opposé.

Or en l’espèce, la Cour d’appel relève que les personnes dont les propos ont fait l’objet d’un enregistrement secret n’ont pas protesté contre la déloyauté du procédé, ni émis de doute sur l’authenticité des enregistrements, ni contesté la teneur des entretiens. Elles n’ont même pas renié leurs propos ou insinué qu’elles en auraient tenu d’autres si elles avaient su être enregistrées. Au contraire, les personnes concernées ont confirmé et explicité les propos enregistrés en apportant des preuves supplémentaires. En outre, tous les propos enregistrés portaient sur des sujets professionnels, sans aucune référence à l’intimité de la vie privée.

La Cour précise également de manière fort intéressante que le principe qui garantit à toute personne le droit de ne pas s’auto-incriminer ne trouve pas à s’appliquer aux sociétés requérantes, lorsque les propos enregistrés ne sont pas ceux de leurs représentants.

En outre, lorsque les parties ont eu connaissance des pièces de preuve en question, elles ont été en mesure de discuter tant sur leur forme que sur leur contenu dans le cadre d’un débat contradictoire, elles ne peuvent établir aucune atteinte concrète au droit à un procès équitable, au principe du contradictoire et aux droits de la défense.

La Cour d’appel approuve donc logiquement le Conseil d’avoir jugé, d’une part que les enregistrements en cause ne pouvaient pas être écartés uniquement parce qu’ils avaient été obtenus de façon prétendument déloyale, d’autre part qu’ils étaient recevables puisqu’ils ont fait l’objet d’un débat contradictoire et enfin qu’il lui appartenait d’en apprécier seulement la valeur probante. Même si ces enregistrements étaient produits par la partie saisissante en non par les enquêteurs ou le rapporteur, leur recevabilité en tant que moyens de preuve est fondée sur la mission de protection de l’ordre économique confiée au Conseil de la concurrence.