Le 7 février 2012, la Cour de cassation a rendu un arrêt qui témoigne d’une sévérité croissante en matière de discrimination raciale.

M. Soumaré, un ancien salarié de Renault, coulait une retraite paisible depuis 1997 après une honorable carrière de 27 ans au sein de la société.

Subitement, plusieurs années après son départ de l’entreprise, M. Soumaré saisissait le conseil de prud’hommes pour se plaindre d’une discrimination ethnique et réclamer des dommages et intérêts. L’ancien salarié, (sagement) débouté de l’intégralité de ses demandes par le conseil de prud’hommes, a interjeté appel de ce jugement.

Sur la base d’un panel de 51 salariés de l’entreprise, l’expert désigné en appel a conclu que M. Soumaré, qui avait connu une évolution professionnelle plus rapide que ses collègues en début de carrière, se trouvait, en fin de carrière, dans une classification qui, compte tenu de son âge et de son ancienneté, ne correspondait pas à celle de la moyenne du panel.

La Cour d’appel et la Cour de cassation déduisent de ce seul fait l’existence d’une discrimination ethnique et octroient (outre des sommes au titre de l’article 700 du CPC) :

• 249.900 € au salarié au titre des dommages et intérêts,

• 3.000 € à la CGT et au MRAP, également parties à l’instance, en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif qu’ils défendent.

Cette prise de position de la Cour de cassation nous semble critiquable.

Tout d’abord, le simple fait que M. Soumaré percevait en fin de carrière une rémunération inférieure à ses collègues, pouvait, peut-être, constituer une violation du principe « à travail égal, salaire égal », à supposer qu’ils aient exercé exactement les mêmes fonctions.

Toutefois, aucun élément ne laissait supposer l’existence d’un lien entre le ralentissement de la progression de carrière de M. Soumaré et une quelconque discrimination en raison de sa couleur de peau ou de ses origines ethniques. Une telle discrimination est d’ailleurs incompatible avec :

• la carrière de près de 30 ans effectuée par le salarié au sein de la société Renault ;

• la progression plus rapide que ses collègues de M. Soumaré en début de carrière.

Si la loi prévoit effectivement un régime de preuve allégé pour le salarié en matière de discrimination, il convient de rappeler que ce dernier doit présenter des « éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte », qui semblent cruellement manquer en l’espèce. La Cour déduit l’existence d’une discrimination d’une simple présomption, l’employeur n’ayant selon elle pas apporté d’éléments suffisants pour expliquer le retard subi par le salarié dans le déroulement de sa carrière par rapport aux autres salariés.

Mais l’employeur aurait-il vraiment pu apporter une telle preuve ?

Compte tenu de la méthode retenue pour l’expertise, la Cour de cassation reconnaît indirectement un droit des salariés à une « carrière moyenne » : tous les salariés devraient connaître une ascension comparable et avoir la même rémunération au même âge. La Cour de cassation impose ici, à coups de dommages et intérêts pharaoniques, un égalitarisme utopique. La solution est d’autant plus irréaliste que le rapport d’expertise fait bien apparaître que Monsieur Soumaré a connu à ses débuts une carrière plus rapide que ses collègues.

Est-il vraiment réaliste de demander à un employeur de garantir à chacun de ses salariés une « carrière moyenne » et d’être en mesure de justifier par des éléments de preuve chaque écart d’un salarié par rapport à cette carrière type ?
Ne s’agit-il pas là d’une preuve impossible ? Comment un employeur pourrait-il déterminer, à l’avance, ce que doit être une « carrière moyenne » dans l’entreprise ? Doit-il brider ses salariés les plus performants pour éviter qu’ils connaissent un avancement plus rapide que les autres, de crainte que cela ne cause des disparités de rémunération ? Cette solution jurisprudentielle, qui dissuade les employeurs de récompenser les salariés les plus performants induit un nivellement par le bas.

N’aurait-il pas été plus pertinent de tester tout simplement les connaissances et les compétences effectives du retraité afin de déterminer si son niveau dans la classification conventionnelle était justifié plutôt que de le comparer à un panel ?
Il est à craindre que cet arrêt soit la porte ouverte à de nombreux contentieux plus ou moins fantaisistes.

Ces mêmes magistrats auraient-ils conclu à la discrimination ethnique si le plaignant avait été un français de type caucasien ? Le MRAP se serait-il constitué partie civile ?