CE 2e et 7e sect., 27 février 2015 n° 380249 

Au terme d’une décision du 27 février 2015, le Conseil d’État a confirmé l’amende infligée à une compagnie aérienne par le ministre des Transports français « pour manquement au droit à indemnisation de quatre passagers ».

Les faits ayant donné lieu à cette décision surprenante sont les suivants : dans le cadre de la rotation d’un aéronef, celui-ci a été frappé par la foudre ; arrivé à l’aéroport de Beauvais, les techniciens ont constaté que d’importantes réparations devaient être faites sur cet aéronef qui ne pouvait donc pas assurer la rotation suivante, le vol Beauvais-Dublin. La compagnie aérienne a décidé d’annuler ce vol compte tenu de l’immobilisation de son appareil. Dans ces conditions, quatre des passagers du vol ont sollicité une indemnisation sur le fondement de l’article 5 du Règlement européen n° 261/2004 ; la compagnie considérant que l’annulation était justifiée au regard de circonstances extraordinaires, elle a refusé d’indemniser lesdits passagers.

Saisi du dossier, le ministre chargé des transports a considéré que les problèmes techniques rencontrés à la suite de l’impact de foudre sur l’aéronef ne constituaient pas des circonstances extraordinaires et que le refus d’indemnisation opposé par la compagnie aérienne méconnaissait le Règlement 261/2004 ; sur ce fondement, le Ministre a infligé à la compagnie aérienne une amende à hauteur de 7.500 € par passager.

Le Tribunal administratif de Paris a annulé cette décision, annulation confirmée par la Cour d’appel administrative de Paris.

À contresens de ces décisions des juridictions du fond, le Conseil d’État a annulé la décision de la Cour d’appel administrative de Paris et, ce faisant, confirmé l’amende prononcée par le Ministre chargé des transports.

Si le sens d’une telle décision surprend, la motivation frappe encore plus par son jusqu’au-boutisme. En effet, se saisissant de l’affaire au fond, le Conseil d’État indique qu’ « il appartient au transporteur aérien qui souhaite s’exonérer de l’obligation d’indemniser les passagers de ce vol d’établir qu’aucune mesure raisonnable ne lui aurait permis d’éviter la mise hors service de cet appareil ou de procéder à un réacheminement rapide des passagers par un vol de substitution, qu’il soit réalisé par la même compagnie ou une autre » (nous soulignons).

Le Conseil d’État relève ensuite que la compagnie aérienne n’a pas explicité les mesures qui auraient éventuellement été prises, en particulier, elle ne justifie pas la raison pour laquelle aucun vol de substitution n’a été organisé. Par ailleurs, en relevant que dix autres appareils de la compagnie aérienne étaient indisponibles car en maintenance, le Conseil d’Etat considère implicitement que la compagnie aérienne aurait dû envisager un vol de substitution via une autre compagnie.

De telles exigences apparaissent injustifiées non seulement sur le plan pratique mais surtout sur le plan juridique

– sur le plan pratique, il sera observé qu’à l’aéroport de Beauvais aucune autre compagnie aérienne ne pouvait assurer la liaison vers Dublin ; seul un réacheminement au départ d’un autre aéroport aurait pu être possible.

– sur le plan juridique, en l’état, le Règlement 261/2004 n’impose pas aux compagnies aériennes d’envisager un vol de substitution ni au départ d’un autre aéroport ni une autre compagnie.

La décision très « volontariste » du Conseil d’État est une anticipation prématurée de ce que pourraient être les obligations des compagnies aériennes à l’issue de la révision du Règlement 261/2004.

En outre, elle semble placer les compagnies aériennes face à une exonération chimérique même en présence de circonstances telles qu’un impact de foudre.

La décision du Conseil d’État nous paraît injustifiée en droit et ne participera certainement pas d’un désencombrement des juridictions.

Contact : stephanie.simon@squirepb.com