Cass. Civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14-18.391

Dans cette affaire, une société vendait des bouteilles en verre destinées à être utilisées pour la commercialisation de vin. Le fabriquant des bouteilles a notifié à son acheteur que certains lots livrés présentaient un défaut pouvant provoquer l’apparition de débris de verre – potentiellement supérieurs à un millimètre. Le fabriquant, reconnaissant que cela créait un risque de dommage corporel,‎ invitait son acheteur à bloquer les bouteilles des lots concernés. 

L’acheteur a fondé, contre son fournisseur de bouteilles, son action en réparation du préjudice lié aux pertes de profits résultant de la mévente des bouteilles exclusivement sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux. On comprend en effet du moyen subsidiaire soumis à la Cour de cassation que l’action fondée sur la garantie des vices cachés était prescrite.

Alors que les juges de première instance avaient fait droit à la demande, la Cour d’appel avait considéré que le préjudice économique était en lien direct avec la défectuosité du produit lui-même et n’était donc pas indemnisable sur le fondement de la responsabilité du fait des produits régie par les articles 1386-1 et suivants du code civil. La Cour fondait son raisonnement sur le fait que les dommages visés par l’article 1386-4 du code civil supposent un dommage à un autre bien que le produit défectueux lui-même.

La Cour de cassation reproche à la Cour d’appel d’avoir ainsi statué alors qu’elle avait « constaté que les défauts relevés affectaient non seulement les bouteilles de verre mais aussi le vin qu’elles devaient contenir, ce dont il résultait que la mévente des bouteilles défectueuses, engendrant le préjudice invoqué, était consécutive au caractère impropre à la consommation du vin ».

L’on savait déjà, depuis un arrêt de la CJUE du 4 juin 2009, que les États membres pouvaient décider que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux issu de la directive du 25 juillet 1985, bien qu’initialement conçue pour la protection du consommateur, pouvaient aussi s’appliquer dans les relations entre professionnels. C’est le choix du législateur français qui a transposé la directive dans un titre général du code civil et non dans le code de la consommation.

La question qui se posait en l’espèce n’était donc pas tant la possibilité pour un professionnel d’invoquer le bénéfice de l’application du régime de la responsabilité des produits défectueux que de déterminer si le préjudice allégué était réparable au sens de l’article 1386-2 du code civil. Il résulte de l’article 1386-2 du code civil qu’est réparable au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux « le dommage […] qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ». La formulation est suffisamment large pour ne pas se limiter à un dommage matériel mais aussi à tout dommage en résultant, y compris économique.

En l’espèce, il est clair que la Cour d’appel avait constaté que le défaut des bouteilles étaient susceptibles d’affecter leur contenu – ce qui était d’ailleurs reconnu par le vendeur. Il est vrai cependant que l’atteinte à un autre bien (le vin) restait seulement potentielle et n’était qu’un risque d’atteinte.  Un tel risque était cependant suffisant pour rendre le vin contenu dans les bouteilles défectueuses « impropre à sa consommation ». La Cour de cassation a ainsi considéré que cela suffisait à caractériser l’atteinte à un bien autre que le produit défectueux.

On peut penser que cette solution est relativement logique puisque les pertes financières alléguées ne tiennent pas à la mévente des bouteilles (qui n’étaient que le contenant du produit fini) mais bien de leur contenu. La solution aurait été différente si les bouteilles avaient été destinées à être revendue en l’état puisqu’il n’aurait alors pas été possible de démontrer un dommage à un bien autre que le produit défectueux.

Ainsi, si la responsabilité du fait des produits défectueux peut ouvrir un alternative à la garantie des vices cachés lorsqu’elle est prescrite, ce n’est qu’à la condition que l’acheteur professionnel ne soit pas un simple revendeur du produit défectueux en l’état.

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