Demi-sommeil* est un premier roman assez conventionnel, du moins par son histoire, celle d’un jeune cadre partagé entre deux femmes, l’une à Paris, l’autre entre Las Vegas et New-York, à la faveur de ses voyages d’affaires. On malmène un peu la chronologie, on évoque sans fard la vie sexuelle des personnages mais l’œuvre vaut surtout par son écriture primesautière, son développement du détail saugrenu et sa recherche de l’épithète insolite. Par sa thématique aussi qui s’avèrera récurrente dans les livres suivants : le monde de l’entreprise sur lequel Eric Reinhardt ( né en 1965 ) pose un regard acéré, d’une ironie féroce.

Existence** remet en scène un même cadre, brinquebalé cette fois dans un récit à tiroirs d’une fantaisie délirante, par un narrateur qui raconte des histoires simultanées – dans la mesure du possible – ce qui constitue à la fois un défi, relevé avec brio, dans l’art de la composition et une vive sollicitation du lecteur. Que Desnos et Wittgenstein interviennent dans le roman dit assez bien le caractère abracadabrant de l’affaire et la jubilation que peut y trouver le lecteur disposé à accueillir l’absurde et le loufoque, servis par une écriture particulièrement créative.

On est prêt dès lors à plonger dans l’imposante somme que constitue Cendrillon*** qui n’a pas grand-chose d’un conte de fée. Assurément moins « gratuit » que le précédent, alors même que s’y déploient la même faconde et une invention identique. L’épais roman vous en donne trois ou quatre pour le prix d’un.

Il y a d’abord l’auteur dont on suit le travail d’écrivain dans tous ses détours, y compris la critique dans la presse de ses ouvrages précédents ! Ce work in progress raconte encore la rédaction d’un texte sur la dernière chorégraphie d’Angelin Preljocaj ou le thème d’une problématique conférence sur…Cendrillon, par exemple.

On découvre sa passion pour les pieds des femmes et d’abord ceux d’une épouse vénérée ainsi que son admiration pour l’un des créateurs qui les chaussent avec talent : Christian Louboutin.

Et c’est bien ce grand amour qui lui a permis d’échapper aux différents avatars qu’il peint alternativement avec l’autofiction que l’on vient d’évoquer. On retrouve l’humour ravageur et la moquerie cinglante dans les destins croisés, quand ils ne sont pas confondus, d’un trader qui pousse sa réussite un peu trop loin, d’un raté dont la révolte s’exacerbe en rage destructrice, d’un obsédé qui repousse les limites de la libération sexuelle.

Cette immense matière, Eric Reinhardt la brasse d’un verbe infatigable – qui peut cependant, ici ou là, fatiguer le lecteur, selon ses inclinations – mais on est ébloui par l’ampleur du projet, sa complexité maîtrisée, sa cohérence parfaite. On espère que ce vaste bilan ne constitue pas une conclusion dans l’œuvre de ce jeune romancier.

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On pourra lire aussi Le Moral des Ménages ( Le Livre de poche) considéré comme l’ébauche de Cendrillon

* Points Seuil
** Le Livre de Poche
*** Le Livre de Poche