CA Paris 10 mars 2011 n° 09/28537

La Cour d ‘appel de Paris a, à plusieurs reprises précisé que :

« l’arbitre doit révéler aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur ces qualités d’impartialité et d’indépendance qui sont l’essence même de sa fonction arbitrale ». (Cour d’appel de Paris le 12 février 2009 n°07/22164)

La première Chambre de la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 10 mars 2011 (n°09-28537) vient à nouveau d’annuler une sentence arbitrale pour non respect de l’obligation de révélation sur le fondement de l’article 1484 2° du Code de procédure civile:

« Or considérant que le conseil de la société Neoelectra Group, Me Lallemand était au temps de l’arbitrage collaboratrice du cabinet Freshfields ; que même à admettre qu’elle représente des intérêts de la société Neoelectra Group en son nom personnel et non comme collaboratrice du cabinet Freshfields et qu’elle n’ait pas eu personnellement de liens avec M L, la circonstance que celui-ci ait ou ait eu des liens d’intérêt avec le cabinet d’avocats dont Me Lallemand est collaboratrice créait une obligation de révélation à laquelle il n’a pas été satisfait ce qui a privé la société tesco de l’exercice de son droit de récusation et a été de nature à faire naître dans son esprit un doute raisonnable sur les qualités d’impartialité et d’indépendance de cet arbitre. »

En l’espèce, l’arbitre désigné qui avait été consultant interne d’un cabinet d’avocats pendant plusieurs années (11 ans) avait par la suite continué à donner des consultations juridiques occasionnelles en tant que professeur. Or l’un des collaborateurs du cabinet était avocat à titre personnel d’une des parties à l’arbitrage. De ce fait la Cour a jugé que l’arbitre avait l’obligation de révéler les liens d’intérêts qui l’unissaient au cabinet d’avocats même si l’avocat intervenait à l’arbitrage à titre personnel et non en qualité d’avocat du cabinet et qu’il n’avait eu auparavant aucun lien avec l’arbitre.

Peu importe l’intensité du lien entretenu entre l’arbitre et l’une des parties, ce qui compte c’est la révélation par l’arbitre des faits qui pourraient provoquer « un doute raisonnable » dans l’esprit d’une des parties. Ces dernières doivent pouvoir faire un choix éclairé pour pouvoir exercer, le cas échéant, leur droit à récusation sur le fondement de l’article 1452 alinéa 2 du Code de procédure civile.

Cette solution s’inscrit dans le courant jurisprudentiel [1] faisant de « la révélation la pierre angulaire du régime juridique de l’indépendance de l’arbitre » (Th.Clay). En effet, cet arrêt vient confirmer la décision rendue par la Cour d’appel de Paris le 12 février 2009 n°07/22164 qui a annulé une sentence arbitrale dans une procédure à l’occasion de laquelle l’arbitre n’avait pas révélé les liens qui l’unissait au cabinet d’avocats dont il était « of counsel ».

Cependant, cette décision que nous approuvons pose un problème pratique. D’une part si un arbitre doit révéler les liens qu’il entretient avec l’une des parties, l’autre peut le récuser au vue des révélations, ce qui est normal. D’autre part « la communauté des arbitres continentaux » est composée de juristes spécialisés de forte notoriété et donc naturellement restreinte. De ce fait, on ne peut ignorer que les arbitres, souvent eux-mêmes avocats, connaissent et rencontrent parfois les conseils des parties en ville. Dans une certaine mesure la cooptation est inévitable en pratique. La composition des tribunaux arbitraux pour de grandes causes est souvent un casse-tête. Ceci devrait de plus fort inciter les arbitres désignés à procéder à une révélation exhaustive des liens qui les unissent à l’ensemble des intervenants de la procédure y compris avec les autres arbitres. Le lecteur se reportera utilement aux IBA Guidelines on conflict of interest in international arbitration [2] . Au delà des Guidelines, la jurisprudence du pays dans lequel le tribunal arbitral a son siège doit être observée minutieusement. En effet, il n’existe pas d’uniformité dans l’appréciation de l’indépendance et de l’impartialité des arbitres et par extension de l’étendue de l’obligation de révélation. Il a été relevé ci-dessus que l’approche du tribunal fédéral suisse semblait être moins exigeante que celle des tribunaux français.

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[1] Cass. Civ. 2e 22 novembre 2001 ; Cass. Civ. 2e 6 décembre 2001

[2] www.ibanet.org/Publications/publications_IBA_guides_and_free_materials.aspx