Dans un précédent article [1], nous avions évoqué la condamnation de Google quant à ses services de géo-localisation « Google Latitude », associés aux services « Google Map » et « Google Street View ». C’est aujourd’hui une autre fonctionnalité proposée par Google qui est à l’origine d’un nombre croissant de litiges : « Google Suggest ». Lorsqu’un internaute introduit un terme dans la barre de requête Google, le moteur de recherche lui propose en temps réel une liste de dix suggestions de recherche. Cette fonction , dont le but est d’assister l’internaute dans la saisie de sa requête pour lui faire gagner du temps, est un système objectif, automatique, qui liste les suggestions par ordre de pertinence, en fonction des recherches des internautes qui sont statistiquement les plus fréquentes.

Une telle fonctionnalité, qui est en principe licite, présente néanmoins un problème lorsqu’elle associe le nom d’une personne ou d’une entreprise avec un terme dénigrant, injurieux, diffamatoire ou qui pourrait nuire à sa réputation. Ainsi, depuis 2009, Google s’est vue à plusieurs reprises condamnée du fait des suggestions proposées par son moteur de recherche…

Premières condamnations de Google pour dénigrement

La première condamnation de Google pour sa fonction « Google Suggest » remonte à 2009. Dans cette affaire, la société Direct Energie reprochait au moteur de recherche d’associer, dans ses suggestions, son nom avec le terme « arnaque ». Le tribunal a estimé que la suggestion générée par le service Google Suggest constituait un dénigrement à l’encontre de Direct Energie, et engageait donc la responsabilité civile de Google sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. A ce titre, le tribunal avait ordonné la suppression de la suggestion litigieuse. En appel, cette décision a été partiellement réformée afin de ne pas restreindre de manière disproportionnée la liberté d’expression garantie par la Convention européenne des droits de l’homme. Ainsi, la cour d’appel décide de condamner Google à mentionner dans sa page d’accueil un avertissement précisant le système utilisé pour établir la liste des suggestions, plutôt que de la condamner à supprimer la suggestion litigieuse. Dans l’affaire Rivalis, le tribunal de commerce de Paris a adopté la même position.

Cependant, dans un arrêt du 16 septembre 2011, la cour d’appel de Paris a opéré un revirement de jurisprudence. Elle estime désormais que Google « ne peut être poursuivie et sanctionnée que conformément aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 », qui réprime notamment la diffamation et l’injure, « ce qui exclut qu’elle puisse être sanctionnée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil ». Suite à ce revirement, Google ne pourra plus être condamnée pour dénigrement, mais seulement pour injure ou diffamation. Ces infractions étant soumises à un régime plus strict, et notamment une prescription de l’action publique abrégée (en principe, 3 mois à compter de la première diffusion), leur poursuite est rendue plus difficile.

De multiples condamnations de Google sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881

En matière de diffamation, une seule décision a à ce jour été rendue par la cour d’appel de Paris en décembre 2011. En l’espèce, le demandeur, condamné en 2010 à 3 ans de prison avec sursis pour corruption de mineure, se plaignait de l’adjonction de son nom avec les termes « violeur », « viol », « condamné » ou encore « sataniste ». Dans un premier temps, la cour d’appel considère que l’association de ces épithètes au patronyme du demandeur a un caractère diffamatoire. Toutefois, la cour fait bénéficier le directeur de la publication de Google de l’excuse de bonne foi. Selon les juges, les mots-clés litigieux renvoient à des sites se rapportant à l’actualité judiciaire qui est un sujet légitime de discussion et de controverse. Sanctionner dans un tel contexte équivaudrait à une ingérence disproportionnée à la liberté d’expression. Ainsi, sur ces fondements, la cour d’appel n’a pas condamné Google pour diffamation.

En matière d’injure, au contraire, Google s’est vue maintes fois condamnée. L’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 réprime le délit d’injure défini comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». Le TGI, ainsi que la cour d’appel de Paris, ont condamné la société Google et son directeur de publication, pour injure du fait de l’association du nom d’une société aux termes « escroc » ou « arnaque » par la fonction Google Suggest.

Plus récemment, le TGI de Paris a de nouveau condamné Google pour injure. En l’espèce, l’outil Google Suggest associait au nom de la société demanderesse le terme « secte ». Selon le tribunal, ce qualificatif constitue une invective à caractère injurieux. Il est intéressant de relever, que les juges ont adopté une acception large de l’infraction d’injure. D’autre part, le moyen de défense tiré de la liberté d’expression, soulevé par Google, est rejeté par les juges. Ils estiment que la fonction de suggestion ne participe pas à la circulation des idées mais a pour seul objet de faire gagner du temps aux internautes.

Contrairement aux décisions prises par le passé sur le fondement du dénigrement, les juridictions ont cette fois ordonné à Google de supprimer les suggestions litigieuses, plutôt que de publier un simple avertissement.

« Google Suggest » ne porte pas atteinte au droit d’auteur ou à un droit voisin

La loi HADOPI du 12 juin 2009 a crée un nouvel article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle. Le Code ouvre une action en référé à certaines personnes afin de faire cesser une atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne.

La Cour d’appel de Paris a eu à se prononcer sur une éventuelle atteinte à un droit d’auteur par le moteur de recherche dans l’affaire Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP). Le SNEP accusait Google Suggest d’orienter les internautes recherchant de la musique en ligne vers des sites de téléchargement potentiellement illégaux, par la suggestion de mots-clé tels que « torrent », « megaupload » ou « rapidshare ». Il demandait à la cour d’appel la suppression des termes suggérés qui, selon lui, portaient atteinte aux droits d’auteur qu’il était chargé de protéger.

La cour d’appel de Paris statue cette fois en faveur de Google, en indiquant que la suggestion de tels mots-clés ne constitue pas en elle-même une atteinte au droit d’auteur. Elle indique en effet que les fichiers figurant sur les sites suggérés ne sont pas tous nécessairement destinés à effectuer des téléchargements illégaux, et que par ailleurs, la suggestion automatique ne peut générer directement une atteinte à un droit d’auteur que si l’internaute se rend sur les sites litigieux et télécharge un fichier protégé. Ainsi, la cour décide que Google ne peut être tenue responsable du contenu éventuellement illicite hébergé sur les sites suggérés par son moteur de recherche, ni des actes volontaires des internautes.

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Il faut noter enfin, que dans l’ensemble de ces affaires, Google tentait d’exclure sa responsabilité en invoquant le caractère automatique de la fonction de suggestion. Les juges rejettent invariablement cet argument car les internautes ont la possibilité de signaler les suggestions indésirables. Par ailleurs, les termes grossiers ainsi que ceux incitant à la haine ou à la violence sont supprimés du moteur de recherche. Ce filtrage prouve que Google conserve un pouvoir de contrôle sur les mots-clés ou expressions suggérés automatiquement. Ainsi, les juridictions ont décidé que Google doit être responsable de l’ensemble des conséquences liées à l’utilisation de Google Suggest, ce qui risque de peser lourd sur le moteur de recherche le plus visité au monde…

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[1] « Google Street View » et « Google Latitude » : Sanction de 100.000 € prononcée par la CNIL