La rime est facile, faute d’être riche et l’alliance de ces deux mots n’est pas une figure de style, un pléonasme tout au plus. Trois ouvrages que réunit le hasard rendent compte de la mainmise du pouvoir politique sur la liberté intellectuelle dans les régimes totalitaires.

C’est la lecture de son étonnant dernier roman « Le bureau des objets perdus »[1] dans lequel un jeune homme de 24 ans ayant renoncé à toute ambition trouve un emploi dans le bureau des objets trouvés de la compagnie de chemin de fer, que Siegfried Lenz écrit à près de 85 ans, qui m’a donné envie de découvrir enfin son livre le plus célèbre « La leçon d’allemand »[2] publié en 1968. Le narrateur en est un adolescent interné dans un centre de rééducation et qui refuse de terminer la punition qu’on lui a infligée, la longue rédaction – en fait le roman proprement dit – dont le sujet est « Les joies du devoir ». Il raconte l’obéissance aveugle de son père, policier, sommé d’empêcher de peindre l’artiste local, un ami d’enfance à lui, puis de confisquer ses œuvres et enfin de les anéantir. On aura reconnu dans cette fable, d’une part l’invention par les nazis de la notion d’ « art dégénéré » dont furent victimes tant d’artistes auxquels la postérité a heureusement rendu justice, d’autre part l’excuse des bourreaux pour leurs actes de barbarie : « Je n’ai fait qu’obéir aux ordres ». Tout cela sur fond d’un lyrisme intense dans l’évocation des paysages si particuliers des côtes de la Baltique, chers à l’écrivain. Une œuvre singulière dont l’importance est souvent signalée à l’égale de celles d’un Günther Grass ou d’un Heinrich Böll.

Changement d’époque et de continent, d’ambiance aussi, pour le roman de Shahnriar Mandanipour au titre on ne peut plus explicite de « En censurant un roman d’amour iranien »[3] .

Le lecteur assiste, pour ainsi dire en direct, au défi insensé que se lance l’auteur, avec un humour dévastateur et jubilatoire pour lequel on songe immanquablement à la « politesse du désespoir ». La moindre des espiègleries hilarantes de ce texte n’est pas l’abondance des passages illicites rayés – évidemment parfaitement lisibles sous la biffure. C’est aussi un savant brassage d’une vaste culture occidentale revendiquée dans un florilège d’hommages associée à celle de la Perse, très ancienne et assumée avec un respect voilé d’ironie. Un grand livre original, sincère et revendicatif. On espère juste que le plaisir rebelle auquel il nous convie ne coûte pas trop cher à son auteur.

Le troisième ouvrage, très différent, est celui de Lila Lounguina « Les saisons de Moscou 1933-1990 »[4] constitué des mémoires écrites sans fioritures par la mère du cinéaste Pavel Lounguine. Il retrace plus d’un demi-siècle d’histoire soviétique. Le plus bouleversant, c’est cette foi inébranlable en une révolution vraie et juste qui anime le milieu d’intellectuels auquel elle appartient et qui, par épisodes alternés a vu tantôt les siens fusillés en nombre pour leurs idées, une minorité condamnée à l’exil pouvant mesurer sa chance, tantôt a vécu un regain d’optimisme quand l’implacable dictature se donnait des airs illusoires de libéralisme.

Trois textes de grand intérêt pour permettre au lecteur de ne pas oublier que son plaisir et sa liberté ont coûté et coûtent encore ici et là la liberté, voire la vie à celui qui les a produits.
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[1] Robert Laffon Collection Pavillons 2010
[2] 10/18 Domaine étranger 2001
[3] Seuil 2011
[4] Plon 1990, malheureusement épuisé