Et moi qui n’aimait pas la cérémonie des césars… Voici qu’est récompensé un film lunaire, dont on sort en se demandant s’il a été touché par l’aile des enfants du paradis ou l’inexorable magie d’une peinture universelle, que nous reconnaissons tous, presque comme si elle nous avait été donnée par quelque livre d’école.

Il est peu de films qui savent dire la vraie vie intérieure d’un peintre, d’ailleurs la connaissent-ils eux-mêmes ? Dans Van Gogh de Pialat c’est le destin tragique porté par le génie qui culmine dans la lumière et la folie. La fille du docteur Gachet mange à la table de Toulouse Lautrec qui ne pense qu’à ses danseuses. L’énergie du désespoir et de la nécessité dans chaque geste, comme un ultime souffle.

Après Auvers-sur-Oise un génie de New York nous saisit. Il surgit d’un carton et vend ses cartes postales à Andy Warhol. C’est le début d’une fulgurante et géniale carrière artistique. Celle d’un Jean-Michel Basquiat immortalisé il y a quelques années par Schnabel. Et cette musique entêtante qui vous donne envie de voler, au ciel des petits Rois couronnés de jaune, ceux qui croient encore que la terre n’est pas ce que nous touchons mais ce petit morceau d’argile que nous collons à la toile, qui tient dans la main.

Cette musique c’est celle du doigt de Yolande Moreau dans Séraphine, passant sur la toile sans pinceau ou sur le morceau de bois. Elle n’est rien, ramasse les saletés d’une bourgeoisie locale et met ses dernières forces dans des nuits sans fin, pour créer une œuvre inimitable. Initiatrice du mouvement de l’art naïf, elle évoque déjà avec force couleur l’énergie d’un Dubuffet, la simplicité illettrée d’un Bill Taylor ou d’une Aloïse.

Nous sommes dans l’énergie venant d’une autre dimension. Celle que nous ne toucherons jamais du doigt mais peut-être un jour de l’œil et du cœur, pour ceux qui savent l’écouter malgré le bruit du temps. Et oui, « on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux » disait un aviateur épris d’azur. « L’innocent paradis plein de plaisirs furtifs », ce « vert paradis des amours enfantines » est là, à l’orée de la main, comme un songe du passé raconté par « Beau de l’Air ». Alors merci pour tous ces prix qui récompensent un film qui n’a que trop peu été vu. Courez, courez, et attrapez ce destin magnifique et terrible, qui s’abîme dans la folie comme une Camille Claudel.

Le cinéma toujours nous livre ces temps-ci le nouvel opus d’un des géants du septième art. Gran Torino, où celui qui nous a habitué à régler les comptes rapidement comme l’inspecteur Harry ou un pasteur vengeur surgit de Pale Ridder, vient nous donner une leçon de vie. Il vieillit diront les mauvais esprits. Pourtant, après avoir expliqué en douceur ce qu’il pensait de l’euthanasie dans Million Dollar Baby, film étonnant et juste, Clint Eastwood nous parle de tolérance.

Dans une société américaine défaite par la crise, la pauvreté économique et la détresse humaine, il nous dit l’espoir du regard de l’autre, d’une autre façon de voir cette vie. Portées par la musique finale de Jamie Cullum, un de ces incroyables jazzmen qui n’ont même pas attendu d’avoir trente ans pour nous faire rêver, ces quelques minutes nous montrent ce qui pourrait être une fable de la société que nous voudrions peut-être, un jour ? Who knows ?

Mais les juristes que nous sommes sont également saisis par cette présence incroyable de l’actualité. En fait, le droit c’est un peu le vertige en ce moment. Qui l’aurait cru ?

La modernisation à marche forcée (au pas de course pourrait-on presque dire). Plus d’une dizaine d’ordonnances en moins de deux mois, parce-que la loi de modernisation l’a décidé. Il faut donc réformer le droit des entreprises afin de « moraliser la vie des affaires » (moderniser lit-on dans la loi, ce serait donc la même chose).

J’ouvre mon dictionnaire du Petit Chose et je n’y vois pas du tout cela. Un monde conceptuel sépare André Malraux, pour qui « on ne fait pas de la politique avec de la morale, mais on n’en fait pas davantage sans » (L’Espoir) et Emmanuel Kant, lorsqu’il considère qu’une « volonté libre et une volonté soumise à des lois morales sont une seule et même chose » (Fondements de la métaphysique des mœurs).

Les chroniques abondent pour nous rappeler (quel que soit le support journalistique, il y en a pour tous les goûts) qu’il y a un univers entre la conscience morale individuelle, supposant une action de chacun à son échelle, et l’ordre moral (ou morale d’Etat), la seconde de ces tendances conduisant à une forme d’oppression. Mais nous n’en sommes pas encore là…

La perte de repères a très bien été décrite, ces dernières années, par les économistes (notamment mais pas uniquement). Les plus pessimistes s’interrogeaient sur la viabilité de notre société propulsée par le double moteur du consumérisme (conçu comme un épuisement des ressources) et de l’endettement, et sur les conséquences du remplacement des structures sociales traditionnelles par des réseaux flexibles (théorie de la modernité liquide de Z. Bauman, dans S’acheter une vie, K. Chambon éd., 2008).

Cette pulsion de destruction, déjà décrite par Freud (Malaise dans la culture) était aussi au cœur de la réflexion Keynésienne sur la refonte du capitalisme (Théorie générale de l’emploi, 1936), car « il faudrait savoir si on peut dépasser un système fondé sur l’accumulation indéfinie et la destruction sans limite de la nature ».

La bienveillance et le sens moral ne seraient donc pas incompatibles avec la politique économique. Pour un Prix Nobel d’économie, c’est même sans doute la seule manière de sortir de l’ornière dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui (A. Sen, Ethique et économie, Puf 1999).

Et pourquoi tout ceci ? Sans doute parce que nous avons commis l’erreur dont on nous avait prévenu au début du 20ème siècle : souvenez-vous que les personnes morales « ne sont pas des personnes, car elles n’ont ni corps sensible de souffrance, ni âme éprise d’idéal » (G. Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne, LGDJ 1946, n° 37). Et qu’en est-il des théories mathématiques servant d’assise aux produits dérivés. Elles non plus ne sont pas morales ou immorales, elles sont sans doute simplement a-morales ?

Nous essaierons donc de digérer le flot législatif avant la prochaine marrée. Mais gardons bien à l’esprit aussi que « la vertu même a besoin de limites » (Montesquieu, L’esprit des Lois, Livre XI/IV-V). Alors restons sur nos gardes (Républicaines).

Et puis sinon, florilège de bonnes nouvelles.

Les Etats-Unis redécouvrent qu’il y a un processus de paix au Proche-Orient (on nous aurait donc caché quelque chose). Les français de Métropole voient leurs compatriotes îliens revendiquer des droits issus de la solidarité économique nationale (prendre aux endettés pour donner aux pauvres ou (variante) endetter des pauvres pour donner aux pauvres, je ne sais plus). Well done John. Tout cela se négocie âprement à grand renfort médiatique.

En même temps nous apprenons cette initiative espagnole. Une association aide les personnes âgées à trouver des collocations à Barcelone. Les jeunes les appellent les papys Erasmus. Ils vivent d’une pension de retraite de 500 euros environ et partagent à quatre un appartement pour pouvoir vivre décemment. Quand on réclame 400 euros d’augmentation ailleurs comme si cela n’était rien. Le grand écart des latitudes est parfois choquant.

Sinon, pour ceux qui auraient voulu être un peu plus physiques, il y a le Tour du monde à la voile en solitaire. Si vous aimez les embruns. La communication virile d’un France-Pays de Galles (il est pas bon mon poisson ?). Bref, ils ont senti le vent du boulet ces diables rouges.

Je ne vous parlerai pas de football parce que dans mon pays les ballons roulent toujours sur le côté quand on les pose (comprenne qui pourra). Et pour les autres sports, dès qu’il est question d’une raquette, je ne touche pas une balle… Bref.

What else ?

Et bien voici le joli mois de mars.

Cette période où les juristes en droit des sociétés, fiscalistes et comptables mettent toute leur énergie à préparer, aux côtés du management, leurs comptes, rapports et assemblées annuels, notre équipe s’est mobilisée pour vous concocter un petit florilège des points à ne pas manquer (voir notre numéro spécial).

Le premier jour de ce mois de mars était marqué par un joli soleil (sur Paris, pardon pour nos lecteurs qui vivent sous des latitudes où la chaleur est constante). Incroyable ces sourires sur les visages, cette détente ambiante, le chant des oiseaux, on se serait cru au printemps. Et si c’était cela la vraie réforme, quatre séances mensuelles de salon de bronzage remboursées par la sécurité sociale ?

Moins cher serait le rêve d’Epicure : carpe diem.