L’on sait désormais, depuis le retentissant arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2005, que « l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme dans l’entreprise » (Cass. soc., 29 juin 2005, P n°03.44-412, Bull. Civ. V., n°219, p.192)

Cette obligation avait été renforcée à la fin de l’année 2006 par des circulaires ministérielles des 24, 27 et 29 novembre 2006 précisant la mise en œuvre de l’interdiction de fumer sur les lieux de travail, et des amendes (de 3ème et 4ème classe) ont été prévues pour sanctionner pénalement les contrevenants.

Ainsi, on peut imaginer qu’un salarié non-fumeur qui se découvrirait atteint d’un cancer dû au tabagisme passif pourrait rechercher la responsabilité de son employeur au titre du non-respect par ce dernier de son obligation de sécurité de résultat.

Il faut donc protéger les non-fumeurs, notamment sur leur lieu de travail.
D’une certaine manière, l’employeur, en imposant de ne fumer qu’en extérieur, « protège » ses fumeurs malgré eux : le fait de devoir se déplacer pour aller fumer sa cigarette prend plus de temps, parfois il fait froid, qui sait si la consommation n’en est pas réduite ?

L’on pourrait alors raisonner de la manière suivante : s’il faut protéger les fumeurs contre eux-mêmes (puisque le fumeur lui-même se verra passible d’amende s’il ne respecte pas les dispositions réglementaires), n’est-ce pas dire que le produit est dangereux ?

C’est un fait bien connu, et même avant la loi Veil de 1976 il était déjà largement fait état par les médias des risques de maladie cardio-vasculaires et de cancer engendrés par la consommation de tabac.

Arrivé à cette conclusion, l’on est en droit de se demander, d’une part pourquoi les fabricants de cigarettes sont-ils toujours autorisés à fabriquer ce produit dangereux, et d’autre part quelle pourrait être leur responsabilité, au regard de l’obligation d’information et de sécurité, à l’égard des fumeurs ?

C’est à cette deuxième question que vient de répondre, par un raisonnement assez déroutant, la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 8 novembre 2007 (n°06-15.873, jurisdata n° 2007-041236).

Dans cette affaire, Madame X, qui avait commencé à fumer à l’âge de 13 ans, en 1972-1973, a appris 22 ans plus tard qu’elle était victime d’un cancer bronchique inopérable et est décédée en quelques mois d’un œdème pulmonaire. Imputant son décès à sa consommation de gauloises brunes, son mari, ses sœurs et ses enfants se sont retournés contre la Société Nationale d’Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes (SEITA) devenue Altadis, en sa qualité de fabricant.

La famille de la défunte invoquait l’absence d’initiative de la SEITA qui, « parfaitement informée du danger par les études dont elle avait connaissance » sur la dangerosité du produit n’a pas informé la population sur les méfaits du tabac.

Alors même que ce point n’est pas contesté, la Cour de cassation retient que les médias, en premier lieu, et les parents de la jeune fille, en tout état de cause, l’avaient fatalement mise en garde. Par la suite, la victime ayant été mère par trois fois, le médecin qui suivait ses grossesses l’avait nécessairement informée des méfaits du tabac.

En effet, pour la cour suprême, l’information par la SEITA aurait été inutile dans la mesure où la victime « ne pouvait légitimement s’attendre à la sécurité d’un tel produit ».

L’obligation d’information pèserait donc sur d’autres que le fabricant.

Le deuxième moyen invoqué par la famille concernait la violation de l’obligation de sécurité elle-même.

La Cour de cassation répond que « il n’est pas établi que les cigarettes fabriquées et vendues par la SEITA présentait un vice ou un défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ; que par suite, en l’absence de défaut de sécurité du tabac, dont seul l’usage excessif (ce qui est le cas en l’espèce) est dommageable », la responsabilité de la SEITA n’est pas engagée. C’est étonnant !

Le fumeur est donc puni, il n’a pas le droit à la sécurité ou plutôt, il doit assumer les conséquences de ses actes, commis en connaissance de cause – si tant est qu’un jeune de 13 ans soit convaincu par les mises en garde des médias et ne fume pas en cachette de ses parents.

La victime n’établissant ni le défaut d’information, ni le caractère défectueux du produit, le lien de causalité n’est pas établi et le fabricant du produit n’est pas responsable du décès causé par la consommation excessive.

La prochaine étape sera donc sans doute celle où le non-fumeur victime du tabagisme passif, s’adressera à la SEITA, puis à la justice.