(Le progressisme est une inquiétude)

 

2020, année pandémique… La Covid a tout écrasé, étouffé, englué, saturé. Sans regrets et beaucoup de rancune.

Un rayon de soleil multiculturel sauce UNESCO dans notre monde de brutes : après le Carnaval de Granville (France, 2016), l’art du pizzaiolo napolitain (Italie, 2017), les rites festifs traditionnels printaniers des éleveurs de chevaux kazakhs (2018), le nuad thai, massage thaïlandais traditionnel (2019), cette année, le couscous (Maghreb) et le Festival de la grenade, Goytchay (Azerbaïdjan) sont inscrits sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Le rituel pour amadouer les chamelles (Mongolie, 2015) figure sur la liste nécessitant une sauvegarde urgente. Yes we can !

2021 (année du bœuf de métal dans le calendrier chinois) arrive avec les vaccins, des élections législatives au Cap-Vert, un congrès mondial d’espéranto à Belfast. 2021, année poétique. Nous célébrerons le quatrième centenaire de la naissance de La Fontaine, le bicentenaire des naissances de Dostoïevski, Flaubert et Baudelaire. Sursum corda ! Essayons de prendre un peu de hauteur et de recul.

Les couche-tard des années 70-80 se souviennent du beau générique de fin des programmes sur Antenne 2. A minuit les hommes volants de Jean Michel Folon disparaissaient à l’horizon, avec le soleil, l’extinction des Lumières.

Mauvaise nouvelle, rien ne va plus. La laïcité, la liberté de la presse, la démocratie, l’économie, la santé publique, la société, l’anthropocène, la planète, l’humanité, toutes les misères du Monde et de ce temps, tout va mal. Chacun pour soi et Dieu pour tous.se. Les grandes philosophies de l’histoire, mythologies, espérances, Cités du soleil, ont sombré. Le Progrès, sauce Condorcet, Saint Simon, Marx, ou junk bonds, a fait long feu. Le bel aujourd’hui a disparu, les lendemains chantent faux, les millénaristes, Philippulus (Tintin, L’étoile mystérieuse), frugalistes, survivalistes, collapsologues, prospèrent.

Bonne nouvelle, il existe un consensus : il faut rebâtir un nouveau Monde. Deux questions restent sans réponse : Quel Monde d’après ? Comment fait-on ?

Quand les arguments s’effritent, les positions se durcissent. Dans les médias, sur les réseaux sociaux, à l’université, exit la rhétorique, la dialectique, les débats d’idées ; les oukases et l’insulte, triomphent. Des légions de Zozo, Zorro, Zoroastres, fanatiques, lotophages, cocos light, Fifi brin d’osier, youtubeurs prépubères et influenceuses analphabètes, règlent leurs comptes et comptent leurs règles, dans des pugilats hystériques et dérisoires, sur fond de guerres des religions, chocs des civilisations.

En France, la summa divisio, socio-politique, oppose les progressistes, hérauts de l’égalité et du bonheur universel, aux réactionnaires, tous suffocants et blêmes, qui vont au gré du vent mauvais nous rappelant les heures les plus sombres de notre histoire (appellation d’origine contrôlée).

Sur le papier, le progressisme est un programme éthéré, sympathique, héritier des Lumières, nourri de tolérance, d’humanisme, d’universalisme, de rationalisme. Au siècle dernier, l’accueillante auberge espagnole servait de couverture à une auberge rouge. Trois générations plus tard, des histrions jdanovistes, activistes moralisateurs, donnent de la voix. Les coucous fanatiques boutent hors du nid les oisillons humanistes. « Les jeunes consciences ont  le plumage raide et le vol bruyant » (Henri Michaux) .

Comme dans les films de Mafia, la nouvelle génération prend le pouvoir. Michael, nouveau parrain, succède à Vito Corleone. Adieu la laïcité, les prolétaires, la lutte des classes; il faut évoluer. Les trafics en tous genres, toutes races, la guerre des sexes, la contrebande des religions, sont beaucoup plus rentables. Ces produits exotiques sont généralement apprêtés avec de petites bourdieuseries, dans une sauce arrabbiata. Le changement dans la continuité…

« J’appelle capital symbolique n’importe quelle espèce de capital (économique, culturel, scolaire ou social) lorsqu’elle est perçue selon des catégories de perception, des principes de vision et de division, des systèmes de classement, des schèmes classificatoires, des schèmes cognitifs, qui sont, au moins pour une part, le produit de l’incorporation des structures objectives du champ considéré, c’est-à-dire la structure de la distribution du capital dans le champ considéré. » (Pierre Bourdieu, Raisons pratiques ; sur la théorie de l’action, 1994). « Au nord, c’étaient les Corons… », place Marcellin Berthelot, le Collège de France, l’Olympia des intellectuels progressistes. Dans la buée des lessiveuses et des schèmes cognitifs, les héritiers parlent le Bourdieu, les dominés connaissent la chanson… Appelez-moi Boubou, pas de chichi…

« Une chose vous manque, Acis, à vous et à vos semblables les diseurs de phoebus ; vous ne vous en défiez point, et je vais vous jeter dans l’étonnement : une chose vous manque, c’est l’esprit. Ce n’est pas tout : il y a en vous une chose de trop, qui est l’opinion d’en avoir plus que les autres ; voilà la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de vos grands mots qui ne signifient rien » (Jean de La Bruyère, Les Caractères).

Jadis vivace et bien acclimaté sous les climats tempérés, le progressisme canal historique est en voie de disparition, plus rare que la panthère de Sibérie, le caméléon Tarzan ou la chauve-souris des Seychelles. Attention au syndrome du Dodo (Dronte de Maurice)Incapable de prendre son envol, d’échapper au plus redoutable des prédateurs (l’homme), le volatile s’est éteint, à l’aube du siècle des Lumières.

Processus et effet, moyen de sa propre fin, essence, substance, étant, Dasein, le Progrès est plus difficile à saisir que le Didus ineptus. Le flou et l’ambigüité ont du bon. Les programmes détaillés, serments trop précis sur la tabula rasa, le monde d’après, l’homme nouveau, l’égalité des sexes ou la pureté de l’air, immanquablement rattrapés par le réel, se retournent contre les vendeurs de peaux d’ours.

Dans le smog idéologique contemporain, le progressisme n’est plus une praxis mais un mot valise, le manège enchanté des belles idées, un amer rassurant, dernier métro des illusions perdues, la voiture balais des luttes d’émancipation, un marqueur utile pour séparer le bien du mal, les bons des méchants.

Le progressisme est une marque, une franchise, qui permet d’écouler au Bazar de l’hôtel de Ville, Bon Marché des bons sentiments, dans les eaux glacées du calcul hédoniste, un opium néo-évangéliste, pourtous, citoyen, une verroterie politique décorative et chatoyante, semblable aux petites figurines de cristal vendues en duty free dans les aéroports. Que deviennent toutes les larmes qu’on ne verse pas, se demandait Jules Renard… « C’est une terrible pitié que de voir un peuple qui a besoin d’aimer et ne trouve rien pour satisfaire son amour » (Roger Nimier).

Nous (re)vivons des crises systémiques, mutations anthropologiques, majeures, complexes, interdépendantes, 1789, 1929, 1939, 1968, sans oublier « 1984 » … Le progressisme sera-t-il, peut-il être le ciment, socle fondateur, l’horizon d’espoir, du monde d’après ? Politiques, économistes, intellectuels, scoliastes, astrologues sont dans le brouillard et le même bateau ; tous capitaines, tout le monde s’angoisse. Comment arriver à bon port ?

Le ré enchantement des Lumières ne sera pas une partie de plaisir. Restons modestes et gardons la tête froide. Les crises d’indignation, pétitions de grands principes, trafiquants de vérité, marchands de moraline, ne changent rien à la maldonne, à la démence du réel… Zéro pour la transformation ou l’interprétation du monde.

Le progressisme est trop labile pour être abandonné aux aveugles, naïfs, idiots inutiles, agités du bocage, ayatollahs du Bien, fanatiques du Progrès. Une certitude, prostituer les mots, éluder les débats d’idées et la confrontation au réel, c’est trahir la promesse, instrumentaliser et réduire le progressisme à un schibboleth de pacotille. Comme la Covid, le progressisme est une inquiétude. Saudade.

Sursum corda, 2021 sera l’année du rebond ! Albert Einstein recommandait, dans la confusion de trouver la simplicité, dans la discorde de trouver l¹harmonie, au milieu des difficultés de trouver l’opportunité.

En ces temps de turbulences épidémiques, économiques, juridiques, judiciaires, nos équipes, 7 rue du général Foy, mais aussi l’ensemble de nos collègues dans 20 pays et 45 bureaux, restent à votre écoute, à votre service, disponibles et réactifs.

De la part de l’équipe éditoriale de La Revue et de l’ensemble du cabinet Squire Patton Boggs

Merci pour votre fidélité qui nous honore !

Meilleurs vœux, Bonne année, Happy new year,

Frohes neues Jahr, Feliz año nuevo 2021 !!!!!

Antoine Adeline

(11 décembre 2020)