C’est presque minute par minute que le narrateur de « Le vent de la lune »[1] , un jeune adolescent, suit avec enthousiasme la mission d’Apollo XI, au milieu du scepticisme des siens. Dans cette petite ville d’Andalousie, dans cette modeste famille de maraîchers, le « progrès » inquiète. L’esprit du garçon passionné de sciences l’élève au-dessus de leurs croyances, préjugés et traditions. Il rejette tout autant l’orientation rigoriste du collège salésien qu’il fréquente au moment où son éveil sexuel est brimé par le spectre du péché. Au rythme des heures exaltantes où l’homme allait poser le pied sur la lune, on suit la tentative d’émancipation d’un jeune être qui découvre la liberté de l’intelligence et le plaisir de la sensualité. L’écriture de l’auteur est faite de ces vertus-là et l’éclosion d’une personnalité qui débusque peu à peu les mystères et découvre les silences des adultes atteint à l’universel.

Cette adolescence et cette ville sont bien celles de l’inspecteur de police, le héros de « Pleine lune »[2] . Muté dans la cité où il a grandi, il fuit dans le Sud les menaces de mort qu’il a reçues dans le Pays Basque et qui ont fini par troubler la raison de son épouse. Sa première enquête sur le meurtre d’une petite fille fait resurgir tout son passé. Au fil du travail du policier, décrit avec une méticulosité sans concession, les autres protagonistes apparaissent dans des séquences alternées : l’ancien prêtre rouge resté seul dans l’école des jésuites désaffectée, l’institutrice de la victime, enseignante désabusée et épouse délaissée avec laquelle le héros aura une aventure sans lendemain.

On découvrira aussi la pitoyable personnalité du criminel. De fait, ce sont les destins qui intéressent l’auteur, qui plonge dans le passé de chacun. Habilement entrecroisés, ils disent le poids d’une certaine fatalité et du temps qui passe.

Au moment où sort en librairie son dernier opus : « Dans la grande nuit des temps »[3] , un volumineux roman sur la guerre d’Espagne et l’exil, il est urgent de découvrir Antonio Munoz Molina, un immense écrivain polygraphe dont chaque nouveau livre surprend par une recherche de style autant que par la permanence des histoires dans l’Histoire et l’approfondissement généreux du mystère des humains, sans oublier l’attachement sensible à un pays et à ses paysages.

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[1]Seuil 2008, paru au Seuil Points le 1er mars 2012, 360 p
[2]Seuil 1998, Prix Fémina étranger, 438 p
[3]Seuil 2012, 768 p