Cass. mixte 19 novembre 2010, n°10.10095 et n° 10-30215communiqué de la Cour de cassation

Rarement une position adoptée par les juges du fond n’avait autant cristallisé les oppositions.
Des milieux économiques en passant par la doctrine juridique, tous s’élevaient, à l’unisson, contre les décisions rendues par plusieurs Cours d’appel concernant le pouvoir de licencier au sein des sociétés par actions simplifiées (SAS).

Et pour cause !

Alors que la Cour de cassation avait admis que le pouvoir de licencier pouvait être délégué à un salarié de l’entreprise voire au DRH de la société mère, sans exiger que cette délégation ne soit écrite, plusieurs Cours d’appel ont remis en cause cette position dans le cas des SAS sur le fondement de l’article 227-6 du Code de commerce.

En effet, en vertu des dispositions légales précitées, la SAS est représentée à l’égard des tiers par son Président. Le Directeur Général et le Directeur Général délégué peuvent également la représenter si les statuts le prévoient.

Ainsi, considérant que le salarié est un tiers à la société au sens de l’article 227-6 du Code de commerce, plusieurs Cours d’appel « frondeuses » en ont déduit que les lettres de licenciement, pour être valables, devaient nécessairement être signées par:

– le Président de la SAS,

– le Directeur Général ou le Directeur Général délégué à la double condition que la délégation soit prévue par les statuts et qu’elle ait été publiée au RCS (CA Versailles, 5ème ch. 24 septembre 2009).

Certains juges sont allés plus loin encore, exigeant une désignation par les statuts de la personne habilitée à signer les lettres de licenciement, voire une publication au RCS du nom des subdélégués, (CA Paris, n°09/04775, 10 décembre 2009 et CA, 03 décembre 2009, n°09/5422).

L’analyse ainsi développée était inacceptable, ceci à plus d’un titre !
En effet, considérer que seuls le Président ou le Directeur Général ont la capacité juridique de licencier revient à nier la réalité organisationnelle de très nombreuses sociétés, souvent pourvues de plusieurs établissements, comme c’est le cas, par exemple, dans la grande distribution.

En outre, exiger la publication au RCS du nom des subdélégués était un non-sens dans la mesure où l’article 15, 10° du décret du 30 mai 1984, visé par la Cour d’appel est cité de manière erronée, le texte prévoyant que seuls les représentants investis du pouvoir de « diriger, gérer ou d’engager à titre habituel la société » devaient figurer au registre. Le texte vise donc les représentants investis du pouvoir général de représentation et non du pouvoir spécial – en l’occurrence celui de licencier – dont la délégation est nécessaire pour le bon fonctionnement de l’entreprise.

Cette analyse est d’ailleurs confirmée par la nouvelle rédaction de l’article R.210-4 du Code de commerce qui aurait dû trouver application en l’espèce…

Par ailleurs, le formalisme ultra legem imposé par les juges du fond concernant la délégation du pouvoir spécial de licencier aurait pu remettre en cause, par analogie du raisonnement, la délégation en matière de sécurité, mettant en jeu, le cas échéant, la responsabilité pénale de l’employeur.
Enfin, cette jurisprudence a bien évidemment exposé les SAS, sociétés par actions les plus nombreuses, à une insécurité juridique lourde de conséquences, certains juges du fond ayant prononcé la nullité des licenciements et la réintégration du salarié concerné ou, en tout état de cause, son indemnisation (CA Versailles 6ème Ch. du 24 juin 2008 n°07/02286).

On l’aura compris, les enjeux de cette jurisprudence émergente étaient juridiques mais également économiques.

La position de la Cour de Cassation était donc très attendue…

Dans deux arrêts rendus le 19 novembre 2010, la Haute Cour, siégeant en Chambre mixte, a mis fin à l’incertitude en se prononçant sur les conditions dans lesquelles les représentants statutaires de la SAS pouvaient déléguer leur pouvoir de licencier.

Dans les affaires qui lui étaient soumises, les SAS « ED » et « Whirlpool France » avaient licencié des salariés par lettre signées respectivement par le Chef de secteur ainsi que le Chef de vente et par le Responsable des Ressources humaines.

Les salariés contestaient leur licenciement au motif notamment que les signataires des lettres de licenciements n’avaient pas la capacité juridique pour rompre leurs contrats de travail, ces derniers ne bénéficiant pas d’une délégation de pouvoir prévue par les statuts en application des dispositions de l’article 227-6 du Code de commerce.

Les Cours d’Appel de Versailles et Paris avaient accueilli favorablement leurs demandes (CA Versailles, 05 novembre 2009 et CA Paris, 03 décembre 2009).

Délégation possible du pouvoir de licencier

La Cour de Cassation a cassé les décisions susmentionnées, estimant que les dispositions de l’article 227-6 du Code de commerce n’excluent pas la possibilité, pour le Président comme pour le Directeur Général, de déléguer le pouvoir d’effectuer des actes déterminés tels que celui de licencier.

Absence de formalisme

La Haute juridiction a, à cette occasion, précisé qu’une telle délégation n’obéit à aucun formalisme particulier.

Elle a en outre considéré que la délégation du pouvoir de licencier pouvait être « ratifiée a posteriori ».
A ce titre, elle a jugé que la lettre de licenciement, signée par un chef des ventes et un responsable de secteur ayant manifestement dépassé le cadre de leurs fonctions, ne remettait pas en cause la validité du licenciement, la société, en la personne de son représentant légal, ayant soutenu devant les juges le bien-fondé de la rupture, ratifiant ainsi la mesure prise par ses préposés (19 nov. 2010, n°10-30.215).

De la même manière, la Cour de cassation a précisé que la délégation pouvait être « tacite et résulter des fonctions même du salarié qui conduit la procédure de licenciement », la personne chargée des ressources humaines devant être considérée, de facto, comme étant délégataire du pouvoir de licencier (19 nov. 2010, n°10-10.095).

Par la clarté de la position adoptée, la Cour de cassation semble ainsi mettre un terme – on l’espère définitivement – aux positions divergentes adoptées par les juridictions du fond.