Au cours d’une procédure arbitrale administrée par un centre d’arbitrage, une partie à l’instance est susceptible d’être lésée par l’inaction de l’institution choisie. Peu nombreuses, les solutions proposées par le droit français comprennent l’assignation du centre d’arbitrage devant les juridictions de fond au titre d’une action en responsabilité contractuelle. Le droit français admet également la saisine du juge d’appui pour remédier à l’inaction du centre si la preuve d’un déni de justice est rapportée.

 

 

I. La responsabilité contractuelle et l’exécution forcée des obligations du centre d’arbitrage

La contractualisation du règlement du centre d’arbitrage résulte de l’accord des parties concrétisé dans le contrat qui les lie.[[1]] C’est ainsi que le règlement d’arbitrage s’impose aux parties à l’arbitrage[[2]] par la conclusion d’un contrat de prestation de services qui lie le centre d’arbitrage, aussi appelé contrat d’organisation d’arbitrage.[[3]]

Le règlement d’arbitrage oblige ainsi l’institution d’arbitrage, partie intégrante du contrat d’organisation d’arbitrage. L’institution d’arbitrage est tenue de respecter son propre règlement.[[4]] Le Professeur Eric Loquin précise que l’ « action dirigée contre l’institution d’arbitrage ne peut avoir pour objet que la mise en jeu de la responsabilité contractuelle » de l’institution.[[5]]   Cette action en responsabilité relève du juge du fond.[[6]] La Cour d’appel de Paris a ainsi retenu « qu’en ce qui concerne la régularité de la décision de cet organisme, il suffit d’observer que les appelantes ne font état d’aucune violation du règlement auquel elles avaient adhéré ; qu’au contraire, les pièces versées au débat en démontrent l’exacte application ».[[7]] Dans cette affaire la demande a été rejetée au motif que l’institution d’arbitrage n’avait commis aucune faute dans l’exécution du contrat. Si la responsabilité du centre avait été retenue, il aurait pu être condamné, sous astreinte, à administrer l’arbitrage.[[8]] L’affaire Cekobanka[[9]] est également intéressante. Dans cette dernière affaire le TGI de Paris a précisé qu’il n’est pas démontré « que cette procédure préalable à la mise en œuvre de l’arbitrage se soit déroulée en violation du règlement et qu’aucune faute n’est alléguée sur ce point. ».

L’institution d’arbitrage a une obligation de célérité à l’égard des parties. La Cour d’appel de Paris a jugé que l’institution d’arbitrage « doit fournir une structure propre à lui permettre un arbitrage efficace, c’est-à-dire intervenant avec la célérité escomptée ». Les juridictions françaises vérifient si cette obligation a été correctement exécutée par la personne chargée d’organiser l’arbitrage.[[10]] Comme l’obligation de célérité imposée au tribunal arbitral lui-même,[[11]] c’est une obligation de moyen.

L’institution chargée d’organiser l’arbitrage a une obligation de garantir l’accès des parties à la justice arbitrale. La Cour d’appel de Paris a jugé ainsi le 17 novembre 2011 que « le droit d’accès à la justice implique qu’une personne ne puisse être privée de la faculté concrète de faire trancher ses prétentions par un juge. Si des restrictions peuvent être apportées à l’exercice de ce droit, elles doivent être proportionnées aux nécessités d’une bonne administration de la justice ».[[12]]

Le droit français permet également aux parties de réagir a posteriori et d’introduire un recours en annulation contre la sentence qui permettra au juge « d’apprécier globalement l’œuvre arbitrale, celle des arbitres principalement, mais aussi les mesures institutionnelles qui l’ont organisée et encadrée ».[[13]] La Cour d’appel de Paris a ainsi jugé que le recours en annulation de la sentence était ouvert en cas d’atteinte au droit d’accès à la justice.[[14]] Les préjudices résultant de l’annulation de la sentence due aux manquements de l’institution chargée d’organiser l’arbitrage à ses obligations devraient donc pouvoir être réparés.

Les centres d’arbitrage incorporent souvent des clauses limitatives de responsabilité. Ces clauses sont réputées non écrites dès lors qu’elles viennent contredire la portée des obligations essentielles du contrat d’arbitrage : « La clause élusive de responsabilité qui autorise […] à ne pas exécuter son obligation essentielle en tant que prestataire de services non juridictionnels doit être réputée non écrite […] dès lors que la clause contredit la portée du contrat d’arbitrage ».[15] Le Professeur Eric Loquin estime que les obligations essentielles du contrat d’organisation de l’arbitrage sont celles qui en assurent l’efficacité et qu’aucune limitation en exclusion de responsabilité ne peut être admise en cas de violation de ces obligations essentielles.[[16]] La solution s’inscrit ainsi dans la lignée de la jurisprudence Chronopost.[[17]] Il s’agit des obligations dont l’inexécution impacte l’utilité du contrat d’organisation de l’arbitrage ; à titre d’exemple les obligations relatives à la constitution du tribunal arbitral, à la pérennité de l’instance arbitrale et au droit au procès équitable.

 

II. L’intervention du juge d’appui en cas de déni de justice (art. 1505,4° du CPC)

Afin d’assurer la réalisation de la volonté des parties de recourir à l’arbitrage, le droit français prévoit l’intervention du juge d’appui. Juge étatique prévu par le Code de procédure civile, le juge d’appui intervient lorsque les parties ont prévu de procéder à un arbitrage ad hoc et que le siège de l’arbitrage est situé en France (articles 1505 CPC).

La jurisprudence a précisé que « le renvoi opéré par la clause compromissoire au règlement d’arbitrage d’une institution d’arbitrage pour l’organisation de la procédure interdit au juge étatique de se substituer pour la solution du différend, sauf carence de l’institution ou silence de son règlement sur le type de difficulté en question ».[[18]] À titre d’exemple le TGI de Paris a estimé que l’adoption du règlement CNUDCI « n’exclut pas que, dans l’exercice de ses pouvoirs pour apporter son concours à la poursuite d’un arbitrage international […] le juge étatique intervienne pour constater la situation de blocage de l’arbitrage et aider au rétablissement de la nécessaire coopération des parties ».[[19]]

Le juge d’appui a une compétence subsidiaire à celle de l’institution arbitrale. Le TGI de Paris précise que la compétence du « …Président du Tribunal de grande instance […] n’est que supplétive et subsidiaire et qu’elle cède devant une manifestation expresse ou implicite des parties de choisir un autre mode de règlement des incidents liés à la mise en place du tribunal arbitral ».[[20]] Le juge d’appui intervient en cas de carence du centre d’arbitrage pour constater une situation de blocage de la procédure arbitrale et apporter son concours à la poursuite de la procédure. Le juge d’appui ne peut interférer avec la procédure arbitrale au « fond », laquelle relève pleinement de la compétence du tribunal arbitral.

Le déni de justice est désormais un rattachement suffisant pour faire appel à la compétence du juge d’appui. Le juge d’appui ne saurait cependant se substituer à la volonté des parties et faire juger au fond le litige.
La Cour de cassation, dans le célèbre arrêt NIOC[[21]] a jugé que le droit à l’arbitre était un des principes de l’ordre public international et que l’abstention d’assistance constitue un déni de justice. Pour la première chambre civile de la Cour de cassation, le fondement de la compétence exorbitante du juge français confronté à un déni de justice en matière d’arbitrage est donc triple (i) l’ordre public international, (ii) les principes de l’arbitrage international et (iii) l’article 6, § 1 de la Conv. EDH.

Il est manifeste que ces trois éléments seraient mal interprétés si les parties à une convention d’arbitrage ne pouvaient trouver un juge d’appui pour les aider à pallier l’inaction du centre d’arbitrage. Le Professeur Thomas Clay précise à cet égard : « Ce n’est pas la justice étatique qui est le moyen d’éviter le déni de justice, c’est l’arbitrage. Mais c’est la justice judiciaire qui l’énonce et qui lui en donne les moyens. En l’espèce, il n’y avait pas d’autres voies que l’arbitrage, comme souvent d’ailleurs en matière de contrats d’États, […]. L’arbitrage est donc ainsi élevé, de par ses propres principes, au rang de rempart contre le déni de justice, et il est même le seul. L’affirmation d’un principe de droit au juge d’appui, voire du droit à l’arbitre, va dans ce sens ».[[22]]

Nous observons ainsi que dans l’hypothèse d’une carence de l’institution arbitrale, l’arbitrage reste le seul mode de règlement du conflit en application des principes généraux de l’arbitrage commercial international dont le principe compétence-compétence fait partie. Seul l’arbitre est compétent pour statuer sur le fond, alors que juge d’appui est compétent pour faire en sorte que l’arbitrage soit correctement administré.


[1] Ch. Jarrosson, Le rôle respectif de l’institution, de l’arbitre et des parties dans l’instance arbitrale, in Rev. arb. 1990, p. 381. ; Ph. Fouchard, Les institutions permanentes d’arbitrage devant le juge étatique, in Rev. arb. 1987, p. 225.
[2] CA Paris, 18 novembre 1983, in Rev. arb. 1983, p. 77, obs. T. Bernard, « …le règlement de conciliation et d’arbitrage s’impose aux parties dès lors qu’elles sont convenues de soumettre le litige à cet organisme. » De plus le TGI de Paris a considéré « qu’en désignant le centre organisateur de l’arbitrage, les parties ont fait de son règlement la charte convenue et acceptée de la procédure, et par là même, ont confié à cette institution permanente la charge d’organiser les opérations d’arbitrage, en conformité à ses statuts et à son règlement. » TGI Paris, 3 juin 1988, in Rev. arb. 1988, p.669, note Fouchard. Dès lors le juge étatique ne doit pas interférer dans la mission confiée par le règlement d’arbitrage au centre d’arbitrage. Seule l’institution peut procéder à la désignation d’un arbitre à la place d’une partie défaillante, ou procéder à la récusation d’un arbitre, ou encore décider de la prorogation du délai d’arbitrage.
[3] TGI Paris, 10 octobre 2007, SNF c. CCI, in Rev. Arb. 2007.847, note Ch. Jarrosson ; CA Paris 22 janvier 2009 : D.2009, p.2959, obs. T. Clay.
[4] TGI Paris, 28 mars 1984, in Rev. arb. 1985, p. 141 « …la Cour d’arbitrage de la Chambre de commerce international s’était prononcée (…) sur la récusation (…) dans les formes déterminées par son règlement intérieur et acceptées par les parties. »
[5] Jurisclasseur, Procédure civile n° 1002.11.
[6] TGI Paris 8 octobre 1986, Ceskolovenska Obchodni Banka A.S. (Cekobanka) c. Chambre de commerce internationale (C.C.I.), in Rev. Arb. 1987, p.367.
[7] CA Paris, 15 mai 1985, in Rev. arb. 1985, p. 141.
[8] Eric Loquin, J-Cl 1002, p.11, Arbitrage Institutions d’arbitrage
[9] TGI Paris 8 octobre 1986, Ceskolovenska Obchodni Banka A.S. (Cekobanka) c. Chambre de commerce internationale (C.C.I.), in Rev. Arb. 1987, p.367.
[10] CA Paris, 22 janvier 2010, in JDI 2009, p.617, note T. Clay
[11] Cass. civ. 1e, 17 novembre 2010, in Rev. Arb. 2011, p. 943, note Ch. Jarrosson
[12] CA Paris, 17 novembre 2011, in Rev. Arb. 2012, p.387
[13] Cass. civ. 1e, 7 janvier 1992, in Rev. Arb. 1992, p.470, note Bellet
[14] Voir supra n°28.
[15] Voir supra n°28.
[16] Cass. civ. 3ème Chronopost 22 janvier 1996, n° 93-18632
[17] Cass. com., 22 oct. 1996 : D. 1997, p. 121, note A. Sériaux
[18] A. Pinna, L’autorité des règles d’arbitrage choisies par les parties, in Paris Journ. Intern. Arb. 2014 p.9, voir également l’arrêt CA Paris 15 mai 198, in Rev. Arb. 1985, p.141 et TGI Paris 23 juin 1988, in Rev Arb. 1988, p.657, note Fouchard.
[19] Jurisclasseur Procédure civile, Fasc. n° 1020.65.
[20] TGI Paris 26 novembre 1998, in Rev. Arb. 1999, p.131, note A. Hory ; voir dans ce sens également l’arrêt sous la référence Cass. civ. 2ème 3 novembre 1993, in Rev. Arb. 1994, p.533, note P. Fouchard.
[21]Cass. civ. 1e , 1er février 2005, État d’Israël c/ Société Nationale Iranian Oil Company (NIOC), Gaz. Pal. du 27 mai 2005, p. 37, note F.-X. Train.
[22] Thomas Clay, Un déni de justice peut justifier la compétence internationale du juge français,  in Rev. crit. DIP 2006. 140