La solution anglaise

Au Royaume-Uni, conformément au Patents Act de 1997 (« PA 1977 »), l’invention réalisée par un salarié appartient à l’employeur si elle a été réalisée à l’occasion de l’exercice de ses fonctions habituelles ou à l’occasion de l’exécution d’une mission exceptionnelle en dehors de ses fonctions habituelles et qui lui aurait été spécialement confiée, pourvu qu’une invention puisse avoir été raisonnablement espérée de cette mission (article 39(1)(a)). Aux termes de l’article 39(1) (b), l’invention appartient également à l’employeur dans le cas où le salarié aurait pour mission de servir les intérêts de son entreprise.

L’approche de la Court of Appeal a été d’examiner le descriptif contractuel précis des fonctions de M. Pinkava pour déterminer si la recherche dont il était chargé, portant sur la mise au point d’un logiciel permettant le commerce par échange électronique de différents types de « swaps » (instruments financiers), faisait ou non partie intégrante de ses tâches habituelles. En l’occurrence, elle a estimé que les circonstances étaient telles que la probabilité que le Dr Pinkava réalise une invention dans l’exercice de ses fonctions était suffisamment grande, en raison notamment de son savoir-faire reconnu pour trouver des solutions peu évidentes et au vu de la complexité du travail qui lui était demandé, qui nécessitait en tout état de cause d’adopter une approche innovante et créative. Par ailleurs, la Cour précise que l’application de l’article 39 ne dépend pas de l’importance (financière) de l’invention. Le Dr Pinkava avait déjà breveté son invention informatique aux États-Unis et créé une entreprise pour conserver et exploiter son brevet ; le Dr Pinkava avait déjà concédé quatre licences à la société De Novo (société qu’il a créé pour exploiter son invention), d’où l’implication de cette dernière dans cette affaire. Il est intéressant de relever que l’invention litigieuse n’a pas réussi à être brevetée dans l’Union Européenne et que seuls des brevets américains la protégeaient.

Il est toutefois intéressant de noter que Lord Justice Jacob, reconnu comme le juge de la Court of Appeal le plus compétent en droit de la propriété intellectuelle en Angleterre, a rendu un avis minoritaire dans cette affaire. Peut-être cela réduit-il la valeur jurisprudentielle de cette décision.

La position française

La loi française, à travers l’article L.611-7 du Code de la propriété intellectuelle, dispose que la propriété (de l’employeur ou de l’employé) sur les droits associés à l’invention d’un salarié, en l’absence de toute clause contractuelle plus favorable à l’employé, est déterminée par les règles suivantes, distinguant trois catégories d’inventions :

1. Les inventions de mission

Ce sont les inventions réalisées dans le cadre des fonctions normales de l’employé comme par exemple celles faites dans le cadre d’un contrat prévoyant une mission inventive. Ces inventions ne confèrent à l’employé aucun droit de propriété intellectuelle, mais il est prévu par la loi que ce dernier bénéficie d’une rémunération supplémentaire.

On pourrait en conclure que la loi française est plus généreuse envers les salariés. A la lumière des positions adoptées par les tribunaux en France, la récente décision de la Court of Appeal en Angleterre peut paraître sévère puisqu’il semblerait que les salariés ne bénéficient en droit anglais ni de compensation ni de droits de propriété intellectuelle. De plus, la définition des fonctions habituelles est particulièrement large en Angleterre. Ainsi, alors que le tribunal avait estimé en première instance que la mission de recherche confiée au Dr Pinkava, qui avait permis l’invention, ne faisait pas partie de ses obligations professionnelles habituelles, mais qu’il lui avait été spécifiquement demandé de travailler sur cette idée, la Court of d’Appeal par contre a jugé qu’il était injustifié de restreindre les obligations professionnelles normales à celles du travail au quotidien. Le contrat de travail du Dr Pinkava stipulait en effet que son approche du travail devait être flexible. La Court of Appeal a considéré que des obligations « en sus ou différentes » de celles initialement prévues dans le contrat de travail ne devaient pas être considérées comme des obligations « spécialement assignées » puisqu’il était probable qu’elles deviennent normales avec le temps. De fait, la Court of Appeal a conclu que toutes les inventions du Dr Pinkava découlaient des idées qu’il avait eues au cours de l’exercice de sa mission habituelle. Bien qu’il soit vrai que la qualification de mission « habituelle » ou « spécialement assignée » soit quelque peu académique, et que les deux approches ont abouti en l’espèce au même résultat (c’est à dire que les droits de propriété intellectuelle de l’invention donnée appartiennent à l’employeur), cela a au moins le mérite d’illustrer une fois de plus le penchant de la Court of Appeal anglaise envers les employeurs.

Il doit être précisé, cependant, que le Patents Act de 2004, qui modifie le PA 1977 et dont les grandes lignes sont entrées en vigueur fin 2004 et début 2005, instaure un critère d’évaluation du droit à la compensation de l’employé. Les dispositions à ce sujet se trouvent à l’article 40 du PA 1977. Le résultat est le suivant : un salarié peut bénéficier d’une compensation si son invention et le brevet qui en décide profitent de manière exceptionnelle à l’employeur (art. 40(1)(b)). D’après l’article 40(2), il peut également y avoir lieu à compensation lorsque le brevet a été accordé au salarié mais qu’ensuite le brevet a été cédé à l’employeur. Dans les faits, cependant, une compensation est difficile à obtenir. Le pouvoir de négociation va jouer un rôle clé, donc le salarié a bien souvent peu de chances de faire réellement valoir ces droits au cours de la négociation. Il faut noter qu’à ce jour, à notre connaissance, aucun salarié n’a reçu devant les tribunaux d’indemnité compensatrice réclamée auprès son employeur.

Il est intéressant de noter que selon les enquêtes publiques effectuées avant l’introduction de la nouvelle loi, très peu d’entreprises et autres acteurs économiques étaient favorables à une modification en profondeur du texte. Le sentiment assez général est que si l’on accordait aux employés plus de droits sur ce terrain, cela aurait dans le pays un impact négatif sur la recherche et le développement de manière générale. Dans ce contexte, la décision de la Court of Appeal dans l’affaire Pinkava ne semble donc pas surprenante.

2. Les inventions hors mission attribuables

Il s’agit ici des inventions réalisées dans l’exercice des fonctions de l’employé, dans le domaine d’activité de l’entreprise ou encore grâce aux connaissances ou l’utilisation des technologies ou des données fournies par l’entreprise. L’employeur a un droit de propriété sur ces inventions alors que le salarié, quant à lui, a droit à une compensation. Le droit de l’employeur sur l’invention peut être total, partiel ou encore négocié par les parties dans le cadre d’un contrat de licence. La jurisprudence indique qu’une invention peut être considérée comme appartenant à cette catégorie même si une clause dans le contrat de travail interdit expressément l’utilisation des technologies de l’entreprise. Employeurs et salariés peuvent convenir d’une renonciation de ce droit, mais seulement une fois que l’invention est réalisée – donc postérieurement à la naissance des droits sur cette dernière. Dans cette situation, employeur et salarié peuvent alors se trouver être co-propriétaires d’un brevet.

C’est pour cette raison qu’il est courant pour les copropriétaires d’un brevet en France, et non pas au Royaume-Uni, de conclure un accord de copropriété pour préciser, en particulier, les conditions d’octroi d’une licence d’exploitation du brevet à un tiers. En l’absence d’un tel accord, les dispositions légales s’appliquent. Selon le Code de propriété intellectuelle, chaque copropriétaire d’un brevet peut octroyer une licence non exclusive à un tiers à condition d’en informer les autres co-propriétaires et de fournir une juste compensation à ceux qui n’exploitent pas personnellement le brevet ou n’ont pas concédé de licence. Les autres copropriétaires ont cependant le droit de s’opposer à la licence proposée et d’acquérir alors la quote-part du brevet. Il est toujours possible de rédiger un accord de copropriété afin de passer outre les droits de préemptions des co-propriétaires. Par ailleurs, le Code de la propriété intellectuelle français interdit l’octroi d’une licence exclusive sans l’accord de tous les copropriétaires ou une autorisation judiciaire.

3. Les autres inventions

L’employé est le seul propriétaire de toutes les autres inventions, pourvu que l’employeur ne puisse pas établir qu’elles font partie d’une des catégories ci-dessus mentionnées.
Notons qu’en droit français, tout accord entre le salarié et son employeur portant sur une invention doit être rédigé par écrit, sans quoi il est déclaré nul et non avenu. Par ailleurs, le salarié doit informer par écrit son employeur qu’il a réalisé une invention et ce dernier doit en accuser réception.

L’affaire Pinkava confirme une jurisprudence anglaise abondante en matière de propriété de brevets. La jurisprudence de la Court of Appeal a pour conséquence est la prise en compte par les entreprises de l’importance de descriptif très détaillé de la mission confiée au salarié et des clauses spécifiques dans le contrat de travail relatives à la propriété intellectuelle de toute invention qui pourrait être réalisée.

Ainsi que nous venons de le constater, qu’elles soient régies par le droit anglais ou français les entreprises doivent veiller (bien que pour des raisons différentes) à soigneusement rédiger dans le contrat de travail une clause relative à la réalisation d’inventions susceptibles d’être créées au cours de l’emploi.