La question revient de plus en plus… Une entreprise touchée de manière importante par la pandémie grippale au point de ne plus pouvoir exécuter ses obligations contractuelles, pourrait-elle se prévaloir de l’article 1148 du code civil qui dispose qu’il n’y a lieu «à aucun dommages et intérêts lorsque par suite d’une force majeure […], le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou à fait ce qui lui était interdit ».

En d’autres termes, une entreprise peut-elle s’exonérer en clamant simplement comme Serge Lama « Je suis malade… » si son activité est paralysée par la pandémie grippale qui s’annonce… qui s’annonce… mais qui comme Madeleine … « n’arrive pas » pour rester dans le registre musical.

La contagion en nombre par le virus A H1N1 revêt-elle les critères de droit de la force majeure pour bénéficier d’une telle qualification ?

Principe

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a tranché le 14 avril 2006, un débat existant entre ses différentes chambres qui interprétaient différemment et depuis plusieurs années les critères cumulatifs de la force majeure entre extériorité, irrésistibilité, insurmontabilité, inévitabilité et imprévisibilité… un débat qui laissait tous les non-juristes migraineux et sans voix, qu’ils soient chanteurs ou pas.

Ainsi, par deux arrêts de principe (l’un concernant notamment la maladie du débiteur de l’obligation), l’Assemblée plénière a qualifié de cas de force majeure un événement « présentant un caractère imprévisible lors la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution » (Cass. Ass. Plén., 14 avril 2006, bull. civ. n°5) . Cette solution ayant été récemment confirmée par la 1ère Chambre civile le 30 octobre 2008 (Cass. Civ. 1ère, 30 octobre 2008, n°07-17.134), nous la considérons comme représentant l’état du droit positif à ce jour.

Pertinence du critère d’imprévisibilité

Il n’est pas contestable que l’arrivée de la pandémie puisse être irrésistible tant par un taux d’absentéisme record dans les entreprises que par des mesures étatiques imposées par les autorités pour contenir la contagion (fermeture temporaire de l’usine, mise en quarantaine, désinfection etc.). En revanche, même en soutenant la position de la Cour de cassation rappelée ci-dessus, on peut se demander si le critère d’imprévisibilité serait pertinent du simple fait que certains contrats ont été conclus bien avant l’apparition du virus au Mexique l’an passé.

En effet, cet argument ne paraît pas suffire pour excuser l’inexécution de ses obligations par une entreprise du fait de la pandémie. Qui pourrait décemment affirmer aujourd’hui qu’une telle pandémie était imprévisible au sein de son établissement ? Non seulement ce serait avoir fait la sourde oreille aux médias et aux alertes répétées des autorités, mais ce serait également avoir refusé de mettre en œuvre les recommandations de la circulaire du 3 juillet 2009 de la Direction générale du travail (Circulaire destinée à favoriser la continuité des services et la protection des salariés) . Le rattachement de l’imprévisibilité au jour de la signature du contrat apparaît bancal.

Deux remarques :

1. L’obligation légale de mise en œuvre de cette circulaire, suffit à elle seule à démontrer qu’aucune entreprise ne pourrait simplement se prévaloir d’un événement imprévisible au jour de la signature du contrat pour bénéficier de l’exonération de l’article 1148 du Code civil.

2. Compte tenu de l’obligation légale rappelée ci-dessus et en application du principe de bonne foi (article 1134 du Code civil) qui fonde le droit des contrats, tout cocontractant se doit d’anticiper, du mieux qu’il peut, la survenance de cette pandémie et, si celle-ci intervient, de fournir ses meilleurs efforts pour tenter d’exécuter ses obligations contractuelles. A ce titre, ce qui n’était pas prévisible lors de la signature mais qui le devient de manière évidente pendant son exécution n’apparaît pas pouvoir être qualifiable d’événement de force majeure.

Position de la CJCE

On se rapproche ainsi de la position de la jurisprudence communautaire qui considère, elle, qu’un événement exonératoire doit être (i) étranger à la personne, (ii) anormal et imprévisible et (iii) rendre l’exécution du contrat impossible malgré les efforts fournis par le demandeur pour tenter d’exécuter le contrat.

Cette référence de la CJCE à la notion « d’efforts fournis » sous-tend une obligation de moyen renforcée qui impose à tout cocontractant de mettre toutes les chances de son côté et donc de prévoir tout ce qui peut l’être à un moment « m » donné dans l’exécution du contrat, quelle que soit la date de signature du contrat.

Aussi, concernant la grippe A, il est peut probable qu’une application stricte de la jurisprudence de la Cour de cassation résiste en cas de litige si le débiteur se prévaut de la force majeure pour justifier son inexécution, au seul motif que la pandémie n’était pas prévisible au jour de la signature du contrat.

Le recours à « l’impossibilité momentanée »

On pourrait en revanche se contenter d’une suspension du contrat. En effet, la jurisprudence a admis que le contrat pouvait être suspendu jusqu’à ce que l’obstacle, qui rend l’exécution impossible, soit levé.

Ainsi un arrêt de la Cour de cassation du 24 février 1981 a posé comme principe qu’« en cas d’ impossibilité momentanée d’exécution d’une obligation, le débiteur n’est pas libéré, cette exécution étant seulement suspendue jusqu’au moment où l’impossibilité vient à cesser » (Cass. 1re civ., 24 févr. 1981 : D. 1982, p. 479, note D. Martin) .

Pour que la suspension soit justifiée, il faut que l’obstacle soit provisoire et que l’exécution du contrat reste utile pour le créancier lorsque la suspension prendra fin.

Mais comme dans le cas de la force majeure, si la pandémie est un obstacle temporaire, peut-elle être considérée comme un obstacle suffisant pour entraîner l’impossibilité d’exécuter ?

Il appartient à la partie qui souhaite suspendre le contrat de justifier d’une cause légitime et de soumettre cette qualification au juge le cas échéant. L’appréciation de la légitimité par la jurisprudence semble plus souple que pour la force majeure (ainsi, à titre d’exemple, une perte de confiance à l’égard du cocontractant du fait de poursuites pénales engagées à son encontre, pourrait justifier l’impossibilité momentanée d’exécuter le contrat – Cass. soc. 5 mai 2004, n° 02-41.871).

Cependant, on sait également qu’en France la jurisprudence a refusé d’appliquer la théorie de l’imprévision et a écarté la possibilité pour une partie de justifier un manquement à ses obligations contractuelles sous prétexte que l’exécution serait devenue plus difficile ou plus onéreuse.

L’impossibilité d’exécution doit donc être suffisamment caractérisée pour pouvoir être invoquée.

Le principe de précaution

Il convient surtout de faire application du principe de précaution en engageant l’ensemble des mesures préconisées par les autorités, notamment la mise en œuvre d’un plan de continuité d’activité incluant un jeu de délégations de pouvoirs. Par ailleurs, à l’instar des procédures américaines de «pre trial discovery », il serait même opportun d’anticiper d’éventuels litiges en pré-constituant des preuves que l’entreprise, avant même la survenance effective d’une pandémie (A H1N1 ou une autre), avait procédé, à titre d’exemples, à :

– une identification des perturbations potentielles,

– des exercices de simulations,

– une sensibilisation des employés,

– une information des cocontractants,

– la mise en place de plans de secours,

– la signature de contrats-cadre avec des agences d’intérim,

– etc.

Ceci contribuera peut-être à éviter que nombre de cocontractants se prennent en grippe en pleine pandémie…