Par un jugement du 21 octobre 2010 (n° 0900640, M. et Mme Petit : JurisData n° 2010-022798), le Tribunal Administratif de Clermont-Ferrand a rendu une décision qui intéressera au plus haut point les joueurs de poker « en ligne » faisant de cette activité leur source de revenu et leurs parents.

Si l’on savait déjà que les joueurs professionnels de poker devaient déclarer leurs revenus dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC), la détermination de cette qualité de « professionnel » restait floue. Une décision récente, fondée sur des faits antérieurs à la loi de 2010, vient préciser les contours de cette qualification en l’élargissant et en réaffirmant que le poker n’est pas un jeu de « hasard ».

1. Une décision basée sur la technique du faisceau d’indice

Monsieur et Madame Petit ont fait l’objet d’un examen de leur situation fiscale personnelle pour les années 2004 et 2005. Leur fils, joueur de poker en ligne, avait gagné au cours de ces années des sommes semble-t-il non négligeables sur plusieurs sites internet. Celui-ci était rattaché au foyer fiscal de ses parents qui n’avaient pas jugé utile de déclarer ces revenus au fisc.

Les services fiscaux ont considéré que son activité correspondait à celle d’un joueur professionnel et ont rehaussé les revenus imposables des époux Petit à hauteur des gains réalisés pendant la période concernée sur le fondement de l’article 92 du Code Général des Impôts (« CGI ») relatif aux BNC.

Ayant saisi le Tribunal Administratif de Clermont-Ferrand, les époux Petit soutenaient que les gains engrangés par leur fils ne pouvaient être assimilés à des profits provenant de toutes occupations, exploitations lucratives ou sources de profits au sens de l’article 92 du CGI en se fondant sur le fait que selon eux :

– le poker est un jeu de hasard dont les gains ne sont par nature pas susceptibles de renouvellement ;

– la pratique du poker ne pouvait être considérée en l’espèce comme une activité professionnelle à raison de la simple existence de crédits même significatifs sur un compte bancaire et au regard de la participation à seulement deux tournois en un an, des faibles moyens du joueur et surtout l’absence de preuve du temps passé sur Internet et de certitude que les gains provenaient bien du poker et non pas d’autres jeux en ligne.

Confirmant la position du service vérificateur, le tribunal indique tout d’abord que le poker n’est pas un jeu de « pur hasard » fondé exclusivement sur l’aléa et que l’habileté, la stratégie et la pratique habituelle de ce jeu sont susceptibles d’augmenter le montant des gains que l’on peut en tirer. Il en déduit que la pratique de ce jeu peut constituer une occupation lucrative ou une source de profit générant un revenu imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux au sens de l’article 92 du CGI.

Analysant la situation du joueur à la lumière d’un faisceau d’indice, le tribunal retient la récurrence et l’importance des gains, l’absence d’autre activité professionnelle du joueur, la mention de son nom sur des sites spécialisés, la participation à des tournois pour caractériser l’existence d’une activité professionnelle taxable pour l’année de référence (2005), précisant que l’exercice d’une telle activité ne nécessitait pas plus de moyens que ceux à la disposition du fils des époux Petit, à savoir une ligne internet, une carte de crédit et une voiture.

Le maintient du redressement aboutit à un résultat particulièrement sévère pour les époux Petit, puisqu’en l’absence de déclaration des gains réalisés par leur fils au titre de la période contrôlée, le tribunal considère en outre que c’est à bon droit que l’administration fiscale a assorti les suppléments de droits de la pénalité de 80% applicable en cas d’activité occulte.

On relèvera que le Conseil d’Etat avait jugé dans une affaire relativement ancienne que des gains réalisés par un joueur de bridge amateur n’était pas imposable (CE 12 juillet 1969, req. 75976., 8e et 9e ss.).

Pour autant, les décisions du Conseil d’Etat et du Tribunal Administratif de Clermont-Ferrand ne sont pas nécessairement contradictoires dans la mesure où le Conseil d’Etat ne qualifie pas le bridge de jeu de hasard, ce qu’il n’est effectivement pas davantage que le poker car l’habilité et l’expérience du joueur peut là aussi influer de façon significative sur le résultat de la partie.

En revanche, la Haute Juridiction relève que le redevable en cause disposait d’une activité professionnelle (la gestion d’un restaurant) qui lui procurait des revenus et qu’il ne pratiquait le bridge qu’en amateur. C’est sans doute ce qui différencie le cas du joueur dans l’affaire Petit qui ne disposait pas d’une autre source de revenus et pour lequel un certain nombre d’indices (tels que la mention de son nom sur des sites de jeu) laissait supposer qu’il avait dépassé le stade amateur.

Si la ligne de démarcation entre l’amateur et le professionnel reste intrinsèquement sujette à débat, on peut penser que les jeunes et personnes sans autre activité rémunérée sont les plus à risque mais on peut également supposer que des revenus tirés du poker supérieurs à ceux d’une activité salariée ou autre sont également susceptible d’être taxables.

2. L’apport de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’agent et de hasard

Cette décision a été rendue aprés l’entrée en vigueur de la loi° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’agent et de hasard qui a légalisé la pratique du poker sur Internet sur des sites agréés.

Si elle était auparavant « illégale », cette activité existait bel et bien depuis longtemps via des sites notamment étrangers et il est logique que l’on se soit interrogé sur le sort réservé aux gains issus de cette activité.

Les services fiscaux, informés de l’existence de cette source de revenu, avaient adoptés une position ferme, assimilant ceux-ci à des Bénéfices Non Commerciaux (BNC) devant être déclarés comme tel.

Eu égard aux critères établis par le tribunal, la loi (connue des magistrats lorsqu’ils ont rendu leur décision) n’apporte pas de modification notable :

– la définition du jeu de hasard donnée par la loi conforte la solution retenue par le tribunal : « est un jeu de hasard un jeu payant où le hasard prédomine sur l’habileté et les combinaisons de l’intelligence pour l’obtention du gain », le poker en est exclu car l’habileté, l’intelligence, la stratégie et la psychologie y jouent un rôle prépondérant.

– la loi ne précise rien quant à la définition de joueur « professionnel ».

L’apport de la loi est sans doute ailleurs dans la mesure où l’existence de sites agréés devrait permettre aux autorités, notamment fiscales, de pouvoir recueillir beaucoup plus facilement des données sur les joueurs suspectés d’être « professionnels ».

La technique du faisceau d’indice demeure d’actualité pour les joueurs (encore nombreux) tentés par les sites illégaux (non agréés), sachant toutefois que l’existence de sanction pénales devrait les faire reculer.

Il est donc conseillé aux joueurs « réguliers » de prendre attache auprès de leur conseil pour faire vérifier leur situation fiscale et aux parents de surveiller leurs enfants et de faire de même en cas de doute.

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