C’est avec perte et fracas que Lionel Duroy, longtemps journaliste à Libération, fait ses débuts littéraires en publiant en 1990 Priez pour nous[1] . Le fracas, c’est celui de la totale impudeur du contenu, alliée à la rage cinglante de l’expression. Ces outrances sont à la mesure de la souffrance endurée par l’auteur au fil d’une enfance et d’une jeunesse peu banales. La perte c’est celle, douloureuse, de tous les liens avec une famille qui se sent outragée par les indiscrétions véhémentes du livre.

Le mépris souverain avec lequel l’épouse traite son mari « dégénéré » s’adresse également au fils qui ressemble par trop à ce dernier. Comment les emplois successifs de représentant en produits divers du père pourraient-ils continuer à apporter à la famille les ressources nécessaires pour entretenir le standing indispensable aux rêves de grande bourgeoise de la mère ? D’autant que celle-ci donnera le jour à onze enfants ! S’ensuivront un endettement croissant, des expulsions, des escroqueries, l’aveuglement obstiné de la femme se trouvant encouragé par le sacrifice héroïque de l’homme.

Pour Toto, comme tout le monde l’appelle, l’enfant montre une grande tendresse, malgré sa lucidité et son chagrin. Le chagrin[2] est d’ailleurs le titre d’un autre roman de l’auteur qui développe beaucoup plus amplement, mais de façon moins incisive, l’invraisemblable saga que constitue l’histoire de sa famille. L’écriture romanesque devient pour Lionel Duroy un double exorcisme, d’abord celui de dire la douloureuse vérité de sa vie pour en supporter la peine, et ensuite de relever le défi de l’écriture pour tenter d’échapper au destin médiocre qui lui est promis par le milieu d’extrême-droite ultra-catholique dans lequel il a grandi et qu’il rejettera, et l’humiliation qu’il a subie de la part d’une génitrice qui sombrera dans la folie.

Dès lors qu’on aura été touché par la sincérité et l’audace de l’homme qui se livre aussi totalement dans son œuvre, on retrouvera dans ses autres livres, tantôt reportages de journaliste, tantôt fictions, mais jamais pures, les figures fondatrices de sa jeunesse, ainsi que les exigences et angoisses de l’écrivain.

Dans Vertiges[3] son dernier titre, il est encore et toujours son propre personnage, les heurs et malheurs de l’adulte, deux fois mari et plusieurs fois père, n’effaçant pas pour autant les plaies de l’enfance. Insatiable plaisir de l’autofiction, inlassable bonheur de lecteur.


[1] Bernard Barrault 1990 + J’ai lu 2011 319 p. [2] Julliard 2010  + J’ai lu 734 p. [3] Julliard 2013 480 p.