Nous constatons actuellement une tendance plus forte aux demandes de provision, ad litem et/ou à valoir sur le préjudice dans tous domaines même si elle s’observe plus particulièrement en matière de préjudice corporel. Elle présente cependant des écueils qui ne relèvent pas du pur cas d’école mais sont désormais bien réels.

À cet égard, le jugement rendu le 22 octobre 2015 par le Tribunal de grande instance de Nanterre dans le dossier Mediator suscite l’interrogation, non pas au vu des condamnations (sur lesquelles nous nous garderons de nous prononcer) mais au vu de la solution et de ses conséquences. Pour mieux le comprendre, il convient de rappeler brièvement la chronologie procédurale de cette affaire :

  • devant le juge de la mise en état, le demandeur avait sollicité qu’une mesure d’expertise soit ordonnée et qu’une provision ad litem lui soit allouée mais ne faisait aucune demande au titre d’une provision à valoir sur le préjudice corporel. Le Président du Tribunal de grande instance de Nanterre avait fait droit à la demande de provision ad litem à hauteur de 27.285 € (hors article 700 du Code de procédure civile), rien de moins… 
  • dans le cadre de l’appel interjeté devant la Cour d’appel de Versailles par les Laboratoires Servier contre l’ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Nanterre, le demandeur sollicitait cette fois l’allocation d’une provision à valoir sur son préjudice corporel à hauteur de 200.000 €, outre une provision ad litem supplémentaire de 30.000 €. La Cour d’appel de Versailles a confirmé l’ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Nanterre et alloué une provision à valoir sur le préjudice corporel à hauteur de 50.000 €. Le montant total des provisions étant alors porté à 77.285 € (50.000 € + 27.285 €) ;
  • devant le Tribunal de grande instance de Nanterre statuant au fond, surprise… le Tribunal conclut que le montant du préjudice corporel subi par le demandeur est limité à 27.000 € et lui a donc alloué cette somme au titre de l’indemnisation de son préjudice corporel, soit 23.000 € de moins que la provision allouée au même titre (et, accessoirement, un peu moins que le montant de la provision ad litem allouée…)

Le résultat est donc un solde en faveur des Laboratoires Servier à hauteur de 23.000 €.

Si l’avocat du demandeur s’est empressé d’annoncer que son client entendait interjeter appel de cette décision, il n’en reste pas moins qu’il devra restituer le trop-perçu aux Laboratoires Servier. A défaut d’exécution de la décision de première instance, ces derniers pourraient en effet solliciter la radiation de l’appel interjeté.

Ces décisions révèlent les difficultés d’une évaluation forfaitaire du préjudice corporel allégué par le demandeur, étant rappelé que la condition pour allouer une telle provision à valoir sur le préjudice est son caractère non sérieusement contestable, ce qui vaut également pour le montant de l’indemnité allouée.

La décision au fond rendue par le Tribunal de grande instance de Nanterre achève de convaincre de ces difficultés puisqu’elle met en évidence les conséquences de telles évaluations et le risque de non-restitution des sommes par les demandeurs.

Certes, ces arguments émeuvent peu lorsqu’il s’agit d’entreprises telles que des laboratoires pharmaceutiques, ils devraient pourtant interpeller. Il n’est en effet acceptable, ni pour le demandeur, ni pour le défendeur, que l’évaluation de la provision soit faite de manière décorrélée de la réalité du dossier car cela suppose outre des problèmes de restitution, l’exercice quasi-inéluctable des voies de recours par les parties insatisfaites. 

Il est donc à souhaiter que les juridictions saisies parviennent à se détacher des enjeux d’une affaire, qu’on leur présente comme « globaux », pour s’attacher aux problématiques particulières de chaque dossier.

Contact : stephanie.simon@squirepb.com