Il est tentant de rendre compte des sorties en librairie, romans et nouvelles de jeunes écrivains contemporains, la moisson est souvent riche, même si tous les livres ne passent pas à la postérité, qu’ils soient primés ou non. Le hasard des fouilles du fond de bibliothèques poussiéreux et des étals des bouquinistes permet parfois d’exhumer des chefs-d’œuvre oubliés. C’est ainsi que je voudrais vous parler d’une nouvelle de Stefan Zweig, « Un soupçon légitime », dont la lecture s’avère fort à propos, en phase avec l’actualité. Cette nouvelle traite de la présomption d’innocence et de soupçon légitime. On y apprend qu’en l’absence de preuves, même si d’aucuns ont un soupçon légitime irrésistible, une quasi certitude sur l’auteur d’un crime, en l’espèce un chien accusé du meurtre d’un bébé, cela ne suffit pas pour condamner le présumé coupable. Cette nouvelle a été publiée au Livre de Poche n°32-158 en version bilingue pour les germanistes qui préfèrent lire le texte en traduction française tout en se référant au texte allemand.

Vous savez que Stefan Zweig et sa seconde épouse Charlotte Élisabeth Altmann ont commis le « crime de suicide » en 1942 à Petrópolis, jolie bourgade brésilienne. Mais connaissez-vous Henri Roorda, un écrivain oublié belgo-suisse, qui s’est tiré un coup de fusil dans le cœur en 1925 à l’âge de 55 ans après avoir annoncé son geste terminal dans un petit texte « Mon suicide » édité à titre posthume. Grâce à l’éditeur Mille et Une Nuits, cette nouvelle a été rééditée récemment, précédée d’un autre texte « Le Rire et les rieurs ». Vous pouvez acquérir ce livre pour €3,50 ttc. La famille d’Henri Roorda s’est installée dans le canton de Vaux en 1872 alors que notre auteur était âgé de 2 ans. Il a fait une carrière dans l’enseignement secondaire en tant que professeur d’arithmétique et de mathématiques. A ce titre, il a rédigé différents ouvrages de pédagogie et des manuels dont « Les Exercices de calcul mental » chez Payot.

« Mon suicide » comporte une explication rationnelle des sentiments et pensées qui ont amené l’auteur à planifier sa propre suppression bien avant le troisième âge. Il ne comprenait pas pourquoi des « êtres vieillis, pauvres et malheureux veulent absolument durer ». Il ajoute « Je n’étais pas fait pour vivre dans un monde où l’on doit consacrer sa jeunesse à la préparation de la vieillesse »… Pour coller à l’actualité, « Mais, longtemps après, quand il ne peut plus jouer un rôle utile, l’homme peut encore être obsédé par des désirs qui ont perdu leur raison d’être… Je me faisais de la vie une idée tout à fait fausse. J’accordais beaucoup trop d’importance à ce qui est exceptionnel : l’enthousiasme, l’exaltation, l’ivresse. Ce qui occupe presque toute la place dans la vie humaine, ce sont les besognes quotidiennes et monotones, ce sont les heures où l’on attend, les heures où rien n’arrive. L’homme normal est celui qui sait végéter. ». Espérons que ces quelques extraits vous donnerons envie de lire « Mon suicide ». A rapprocher du texte prémonitoire de Romain Gary (Émile Ajar). « Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable » (1975) où le personnage principal, Jacques Raignier, homme d’affaires puissant (autoportrait), expose par le menu les raisons de son prochain suicide (1980). La Tour de Pise ne se redressera plus jamais, pas plus que la virilité de Jacques R. qui atteint l’âge où le déclin entraîne la fin de son monde. Si ce thème vous intéresse, vous n’hésiterez pas à lire « La dernière leçon » de Noëlle Châtelet, publié chez Point, 1380 (€5,50). L’auteur, sœur de Lionel Jospin, raconte la fin de vie de sa mère, donc également celle de Lionel, mort volontaire, planifiée et programmée, mais aussi évoquée ouvertement avec son entourage familial.

Chers lecteurs, ces propos ne concernent que la littérature, je n’ai pour l’instant aucune tendance suicidaire, si cela peut vous rassurer. Je continuerai à vous fréquenter par La Revue interposée.