L’affaire

CJUE  8 septembre 2016 aff. C-160/15  GS Media BV / Sanoma Media Netherlands BV, Playboy Enterprises International Inc., Britt Geertruida Dekker

Un site internet très fréquenté au Pays-Bas a publié, en octobre 2011, des liens hypertexte renvoyant vers d’autres sites permettant de consulter des photos d’une présentatrice hollandaise.

Ces photos avaient été commandées par un éditeur de magazine de charme (la société S.) en vue de les publier dans la prochaine édition dudit magazine en décembre 2011.

La société S. a sommé à plusieurs reprises l’exploitant du site internet (la société G.) d’empêcher la diffusion des photos et de retirer les liens hypertexte litigieux.

Dans le même temps, à la demande de l’éditeur du magazine, les photos avaient été retirées des sites hébergeant les photos. La société G. a cependant établi de nouveaux liens renvoyant vers d’autres sites internet hébergeant les mêmes photos.

La société S. et les ayants droits ont alors introduit un recours devant les juridictions hollandaises arguant que le placement des liens hypertexte avait porté atteinte au droit d’auteur. Le litige ayant été élevé jusqu’à la Cour Suprême des Pays-Bas, celle-ci a, par décision du 3 avril 2015, effectué un renvoi préjudiciel à la Cour de Justice de l’Union européenne.

Question juridique

En vertu de la directive 2001/29 [1] sur le droit d’auteur et les droits voisins, les États membres sont tenus de veiller à ce que les auteurs bénéficient du droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres. En même temps, cette directive vise à maintenir un juste équilibre entre, d’une part, l’intérêt des titulaires des droits d’auteur et, d’autre part, la protection des intérêts et des droits fondamentaux des utilisateurs d’objets protégés (en particulier leur liberté d’expression et d’information) ainsi que de l’intérêt général.

La Juridiction de renvoi demande, en substance, si « le fait de placer, sur un site Internet, un lien hypertexte vers des œuvres protégées, librement disponibles sur un autre site Internet sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, constitue une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ».

La décision

La Cour rappelle sa jurisprudence antérieure selon laquelle la notion de « communication au public » implique une appréciation individualisée qui doit tenir compte de plusieurs critères complémentaires.

La cour distingue notamment selon que le placement de liens hypertexte est ou non effectué dans un but lucratif.

Elle relève que :

« lorsque le placement d’un lien hypertexte vers une œuvre librement disponible sur un autre site Internet est effectué par une personne qui, ce faisant, ne poursuit pas un but lucratif, [il convient] de tenir compte de la circonstance que cette personne ne sait pas, et ne peut pas raisonnablement savoir, que cette œuvre avait été publiée sur Internet sans l’autorisation du titulaire des droits d’auteur […] Cette personne n’intervient, en règle générale, pas en pleine connaissance des conséquences de son comportement pour donner à des clients un accès à une œuvre illégalement publiée sur Internet. »

« En outre, lorsque l’œuvre en question était déjà disponible sans aucune restriction d’accès sur le site Internet auquel le lien hypertexte permet d’accéder, l’ensemble des internautes pouvait, en principe, déjà avoir accès à celle-ci même en l’absence de cette intervention »

En revanche « lorsque le placement de liens hypertexte est effectué dans un but lucratif, il peut être attendu de l’auteur d’un tel placement qu’il réalise les vérifications nécessaires pour s’assurer que l’œuvre concernée n’est pas illégalement publiée sur le site auquel mènent lesdits liens hypertexte, de sorte qu’il y a lieu de présumer que ce placement est intervenu en pleine connaissance de la nature protégée de ladite œuvre et de l’absence éventuelle d’autorisation de publication sur Internet par le titulaire du droit d’auteur. Dans de telles circonstances, et pour autant que cette présomption réfragable ne soit pas renversée, l’acte consistant à placer un lien hypertexte vers une œuvre illégalement publiée sur Internet constitue une « communication au public »,

Elle applique par conséquent une présomption différente selon que le placement de liens hypertexte est ou non effectué dans un but lucratif.

« Afin d’établir si le fait de placer, sur un site Internet, des liens hypertexte vers des œuvres protégées, librement disponibles sur un autre site Internet sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, constitue une « communication au public » au sens de [la Directive sur le droit d’auteur et les droit voisins] il convient de déterminer

– si ces liens sont fournis sans but lucratif par une personne qui ne connaissait pas ou ne pouvait raisonnablement pas connaître le caractère illégal de la publication de ces œuvres sur cet autre site Internet ou

– si, au contraire, lesdits liens sont fournis dans un tel but, hypothèse dans laquelle cette connaissance doit être présumée. »

Conclusion

Cette présomption de connaissance du caractère illicite va rendre plus difficile la rentabilisation de certains sites. La bonne nouvelle est que la CJUE précise que la présomption est réfragable, même si cette preuve n’est pas facile à apporter. Cette jurisprudence devrait par ailleurs s’appliquer à d’autres domaines que le droit d’auteur et les droits voisins. Nous ne pouvons que recommander d’agir avec précaution. Contact : stephanie.faber@squirepb.com
   


[1] Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10).