L’actualité tragique et la « COP 21 fever » ont quelque peu éclipsé l’adoption par le Sénat, le 5 novembre dernier, du projet de loi sur  ‘La Justice du XXIème siècle’, astucieusement labellisé ‘J 21’ par les communicants de la Chancellerie. « 21 » comme le nombre des conciles œcuméniques ou l’ordre minimal de la quadrature parfaite du carré. Ce projet, qui va être discuté sous peu à l’Assemblée nationale, mérite quelques explications.

Le contexte

Il est connu. Le service public de la Justice est à bout de souffle. La Justice est pauvre, lente, bureaucratique, complexe, lointaine, bref injuste ! Rien de nouveau. Pas de chance, les caisses sont vides. Dans notre République où fleurissent les discours sur l’égalité, la protection, le droit et la Justice, cette dernière a toujours fait figure de parent pauvre. Seulement 1,9 % du budget public pour la place Vendôme, ce qui situe la France dans la moyenne basse des pays de l’Union Européenne[1] .

Pour l’aggiornamento de la Justice, annoncé par la Chancellerie il y a 2 ans comme le plus important depuis 1958, 4 groupes de travail ont été mis en place. L’Institut des Hautes Etudes sur la Justice a planché sur ‘L’office du juge’, Pierre Delmas-Goyon a présidé le groupe sur ‘Le juge du XXIème siècle’, Didier Marshall celui des ‘Juridictions du XXIème siècle’, et Jean-Louis Nadal le groupe consacré au ‘Ministère public’. 1900 personnes consultées, plus de 2 000 contributions d’acteurs de la Justice, avec un grand débat national-happening, à la maison de l’Unesco les 10 et 11 janvier 2014.

Forte de « cette intelligence collective», le 10 septembre 2014, en Conseil des ministres, la garde des Sceaux a vendu un pitch du tonnerre et 15 actions épatantes en faveur de la Justice du XXIème siècle. « Garantir un service public de la justice plus proche, plus efficace et plus protecteur. Ces quinze actions portent l’ambition d’une justice adaptée aux nouveaux besoins de droit et correctrice des inégalités sociales. Elles renforcent l’accès à la justice par voies numérique et géographique, assurent une justice plus ouverte sur la société et qui s’adapte davantage aux évolutions territoriales, sociales, démographiques et économiques, améliorent l’organisation judiciaire et le fonctionnement interne des juridictions, recentrent chacun des professionnels de justice sur ses missions essentielles, valorisent le règlement amiable des litiges, et renforcent les protections des plus vulnérables».
Malheureusement, cet automne, l’heure est plutôt aux grèves, à l’urgence sur fond de profond désarroi des acteurs du monde judiciaire. Les avocats (unis, une fois n’est pas coutume), ont obtenu une réforme de la réforme de l’Aide Juridictionnelle[2] , la Pénitentiaire et la Magistrature, en cessation des paiements, sont à bout de nerfs. La montagne ‘J 21’ a accouché d’une souris

Les beaux discours généreux ont fait long feu. Exit l’idée (par ailleurs assez fantasque) d’un greffier juridictionnel compétent pour rendre certaines décisions de justice, la mise en place d’un tribunal unique de première instance. La réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature est reportée, celle de la juridiction prud’homale, a été intégrée à la Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques du 7 août 2015. La ‘J 21,’ ou ce qu’il en reste,[3] peut se résumer en 4 idées directrices.

1. Faciliter l’accès du justiciable à la justice en l’incitant à privilégier les Modes Alternatifs de Règlement des Différends. Le titre Ier instaure un service d’accès unique du justiciable (avatar du guichet universel de greffe), qui permettra lorsque l’informatique existera, un suivi directe de la procédure par le justiciable (article 2). Le titre II veut favoriser les ‘MARD’ e.g. obligation pour le justiciable qui souhaite saisir le juge d’instance ou de proximité d’un litige de moins de 4000 euros, de tenter préalablement une conciliation (article 3), extension au contentieux administratif du régime juridique de la médiation (article 4), possibilité offerte aux avocats de proposer aux parties d’organiser dans le cadre d’une convention de procédure participative la mise en état de leur affaire, avant de la soumettre au juge (article 5).

2. L’amorce d’une simplification de l’organisation judiciaire et des procédures juridictionnelles. Le titre III engage un mouvement de concentration des contentieux au sein du tribunal de grande instance. Les tribunaux de police, des affaires de sécurité sociale et du contentieux de l’incapacité seraient fusionnés et intégrés au sein du TGI (articles 8 et 10), sans précisions sur les modalités et le calendrier de cette possible future ‘fusion-absorption’… ! Une coordination avec le projet de loi organique sur l’indépendance et l’impartialité des magistrats est prévue s’agissant du juge des libertés et de la détention (article 11), ou des causes de récusation d’un juge (article 12).

3. La création d’un socle procédural commun pour les actions de groupe notamment pour lutter contre les discriminations. Avec le titre V, le gouvernement ambitionne de créer un socle procédural commun, pilote pour les actions de groupe sectorielles. A ce stade, il n’a pas souhaité modifier le régime juridique des actions en place (action de groupe « consommation ») ou en cours d’adoption (action de groupe « santé »). Ce socle procédural commun pourrait s’appliquer aux nouvelles actions de groupe en matière de discrimination à savoir, une action à vocation généraliste (article 44) et une action pour les discriminations relevant du code du travail (article 45).

4. La poursuite des réformes engagées pour la justice consulaires et le droit des entreprises en difficulté. Le titre VI concerne l’adaptation de la justice commerciale aux enjeux de la vie économique et de l’emploi. Pour l’essentiel, une réforme du statut des juges consulaires afin de renforcer les exigences déontologiques et de formation, et mettre en place une protection fonctionnelle (article 47). L’article 48 modernise les règles régissant la profession d’administrateur judiciaire. L’article 50 ratifie et toilette les ordonnances de mars et septembre 2014 relatives au droit des entreprises en difficulté.

Much Ado About Nothing…Plus que 85 ans avant la Justice du XXIIème siècle ! « Quand on a que l’amour …. »

On m’objectera qu’à l’aune d’une actualité particulièrement tragique (attentats terroristes, chômage de masse, réchauffement climatique), la priorité n’est peut-être pas la justice civile. Ce serait plutôt la procédure pénale, l’entraide pénale internationale ou encore une réforme structurelle du droit du travail pour favoriser la relance d’une économie encalminée,  incapable de créer des emplois non aidés. 

Une commission présidée par Robert Badinter[4] vient d’être mise en place  pour définir le « socle » des droits du travail garantis. Ses travaux sont attendus le 15 janvier 2016. La grande réforme du code du travail est annoncée pour 2018… 5 ans de perdus ! À court terme, Madame El Khomri veut réformer le chapitre consacré au temps de travail. Le terrain est miné. La commission Badinter doit faire de l’archéologie juridique « … extraire, les principes les plus importants de notre droit du travail, un peu à la façon du juge qui dégage un principe fondamental reconnu par les lois de la République, qu’il décèle et « reconnait » parmi le corpus des normes existantes. » Bon courage à Robert Indiana Jones Badinter et à tous les sages savants de la Commission. 

Si les acteurs économiques passent des contrats, entre les citoyens et leurs représentants il existe, ou devrait exister, un Contrat social. Aujourd’hui la mode est aux pactes[5] : pacte de compétitivité, pacte de responsabilité, pacte civil de solidarité, pacte écologique, pacte de stabilité et de croissance[6], sans oublier le petit dernier, le pacte de sécurité. Une dialectique de bonneteau qui permet de neutraliser et violer les promesses. « Nous vivons en un siècle pour qui toutes les réalités sont des mensonges et tous les mensonges des réalités[7]  ».Trop de pactes tuent l’impact. Pactes de dupes.

Les civilistes rappelleront que l’imprévision va faire son entrée dans le nouveau droit des Obligations[8], et puis, il y a l’état d’urgence, un pacte de sang ?!

À l’impossible nul n’est tenu… On dit aussi que « Gouverner c’est prévoir ».
Il nous reste de belles chansons…« Quand on n’a que l’amour, à s’offrir en partage… ».
Contact : antoine.adeline@squirepb.com

 


[1] En 2014, dans l’UE, les bons élèves sont le Danemark et l’Irlande (3,4%), la Pologne (3,2%) et la Hongrie (3,1%). 6 pays consacrent à la justice moins de 1% de leurs budgets respectifs , le Luxembourg (0,6%), la Belgique et la République tchèque (0,7%), l’Autriche (0,8%), Chypre et l’Espagne (0,9%). [2] Pour le court terme, un protocole prévoit de relever de 100% (soit 1000 euros), le seuil des ressources pour être éligible à l’A J. La rémunération des avocats intervenant au titre de l’A J a été revalorisée pour la première fois depuis 2007. Le budget de l’A J passé de 275 M€ en 2010 à 375 M€ en 2015, sera de 400 M€ en 2016. [3] L’intitulé initial du projet « Projet  de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle » a été rebaptisé plus modestement par la Commission des lois du Sénat, « Projet de loi relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire ». [4] Antoine Lyon-Caen et Robert Badinter, rappellent dans leur essai « Le travail et la loi » (Fayard,  juin  2015) que dans un contexte de chômage structurel, la simplification du code et du droit du travail est une ardente et urgente obligation. Le déni a assez duré. [5] Voir Marginalia no 18, “2014 Pacta sunt servanda?” https://larevue.squirepattonboggs.com/Marginalia-n-18-br-2014-PACTA-SUNT-SERVANDA-br-Goethe-Verlaine-Duras-et-Cyrano-de-Bergerac_a2277.html [6] Bel oxymore ! [7] J de Maistre, « Essai sur le principe générateur ». [8] « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.  En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat. A défaut, une partie peut demander au juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. » (Projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Art. 1196).