Constat: des scléroses pénalisantes pour les justiciables

L’image de la Justice n’est pas bonne. La nouvelle réforme prend acte de l’insatisfaction des justiciables; une grande majorité de Français estime que la Justice a besoin d’être réformée (87%), qu’elle est trop lente (95%), trop complexe (88%) et que « le langage judiciaire est peu compréhensible » (80%)[1]. En deux mots, la justice moderne doit faire plus vite et plus simple.

Quatre groupes de travail [2] ont rendu leurs conclusions. Le premier, présidé par l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice (IHEJ) portait sur « l’office du juge au 21ème Siècle ». Le deuxième, piloté par Pierre Delmas-Goyon concernait « le magistrat du 21ème Siècle ». Le troisième groupe animé par Jean-Louis Nadal a analysé les missions, l’organisation et le périmètre d’intervention du ministère public. Enfin, le quatrième groupe, présidé par Didier Marshall traitait des « juridictions du 21ème siècle ». Au total, pas moins de 268 recommandations ont été proposées.

Les propositions phare

  • Le Guichet Universel de Greffe

Dans le sens de la simplification de la procédure, la création d’un « guichet universel de greffe » au sein de chaque juridiction et de chaque maison de justice et du droit est suggerée. Ce guichet permettrait « au justiciable de recevoir aisément des informations générales sur les procédures judiciaires, d’introduire celles ne nécessitant pas le ministère d’avocat ou la délivrance initiale d’une assignation par un huissier de justice, et de suivre le déroulement des procédures civiles, familiales, pénales, commerciales et sociales en cours et le concernant ». [3]

  • Favoriser les M.A.R.C

Les auteurs des rapports constatent une  « judiciarisation » de la société. Pour pallier l’encombrement des juridictions, la « Justice du XXIe Siècle » encourage les « Modes Alternatifs de Résolution des Conflits » tels que la médiation [4]. Les procédures de « droit collaboratif » initiées par les avocats [5] sont fortement recommandées. On rappellera qu’il est mis en œuvre par « la signature d’une charte qui engage les avocats à tout mettre en œuvre pour aboutir à une solution consensuelle, et à se désister en cas d’échec ». Il en va de même pour « la procédure civile participative » qui reprend les mêmes principes que le droit collaboratif mais sans désistement.

  • Un divorce par consentement mutuel simplifié

Le rapport relatif au « juge du XXIe Siècle» préconise de transférer au greffier juridictionnel le divorce par consentement mutuel, lequel concerne aujourd’hui un divorce sur deux en France [6]. Cette proposition a suscité une levée de boucliers de la part de certains magistrats et de tous les avocats. Certains juges estiment qu’une telle réforme poserait un problème de formation des greffiers[7]. Tout en conservant l’office du juge et dans un objectif de simplification, le CNB (Conseil National des Barreaux) propose quant à lui la mise en place d’une  procédure simplifiée d’homologation par le juge impliquant les avocats, mais sans comparution des parties[8].

Est-ce suffisant ?

Au-delà des ambitions affichées cette réforme sera-t-elle suffisante ? Les défis sont conséquents. L’adoption récente du projet de la loi « Hamon » accueillant les actions de groupe risque d’accroître sensiblement le nombre d’affaires portées devant les juridictions.

Les enjeux ne sont pas seulement politiques mais citoyens et économiques. S’agissant de la longueur excessive des procédures, la France a été souvent condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme sur le fondement de l’article 6.1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales pour violation du droit au jugement dans un délai raisonnable [9].

Souhaitons que les acteurs de la réforme prennent toute la mesure du saut qualitatif et quantitatif à réaliser pour que la Justice du XXIe siècle soit un succès, sans sous-estimer la compétition internationale illustrée par le forum shopping. Londres, New-York, Zurich et Genève font preuve dans ce domaine de pragmatisme et d’innovation. [10]

Montesquieu rappelle qu’« il faut que la justice soit prompte. Souvent l’injustice n’est pas dans le jugement, elle est dans les délais ; souvent l’examen a fait plus de tort qu’une décision contraire ». [11]


[1] www.lemonde.fr/societe/article/2014/01/10/une-grande-majorite-de-francais-considerent-qu-il-faut-reformer-la-justice_4345880_3224.html [2] www.justice.gouv.fr/la-justice-du-21eme-siecle-12563/edification-de-la-justice-du-21eme-siecle-26281.html [3] Rapport sur les juridictions du XXIe siècle, p.29 [4] Rapport IEH mai 2013, p.37 [5] Rapport IEH mai 2013, p.41 [6] 54 % en 2012, www.justice.gouv.fr/art_pix/1_stat_Chiffres_cles_2013.pdf [7] Syndicat de la Magistrature, www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/faut-il-dire-oui-au-divorce-sans-juge_1311432.html [8] Livre Blanc sur la Justice du XXIe siècle du CNB, p.14. [9] CEDH, 11 février 2010, Malet c/ France, Condamnation de la France pour une affaire pénale ayant duré 8 années entre les trois degrés de juridictions, CEDH,14 novembre 2000, DELGADO c/France… [10] Lire à tire d’exemples les articles que nous avons publiés le mois dernier à propos de Londres : http://larevue.squiresanders.com/London-A-world-class-centre-for-litigation_a2276.html et http://larevue.squiresanders.com/Alternative-Dispute-Resolution-and-English-Legal-Proceedings_a2273.html [11] Montesquieu, Mes pensées 1720-1755, posthume, 1899.