Les effets de la clause compromissoire sur les tiers est un sujet récurrent en droit de l’arbitrage international. Les sentences, les commentaires et les analyses offrent des solutions dont les fondements sont des plus diversifiés. Récemment, la discussion a porté sur l’existence d’un consentement, même implicite, au recours à l’arbitrage d’une partie non signataire du contrat contenant une clause compromissoire.

La volonté des parties, socle du pouvoir juridictionnel de l’arbitre, et la nature conventionnelle de la clause d’arbitrage imposent un effet relatif de la clause compromissoire à l’égard des tiers. Or, les tribunaux arbitraux ont largement considéré qu’un consentement implicite de voir leurs litiges soumis à l’arbitrage comme mode alternatif de résolution de différends pouvait être déduit du comportement des parties. Dès lors, les tribunaux arbitraux ayant adopté une position souple élargissant leur pouvoir juridictionnel, il est désormais largement admis que la signature du contrat contenant la clause compromissoire n’est pas l’unique manifestation de la volonté des parties au recours à l’arbitrage. Cette solution qui a le mérite d’être pragmatique implique, néanmoins, une analyse scrupuleuse des circonstances de chaque espèce et l’application au cas par cas d’une règle matérielle précise.

La position traditionnellement adoptée par les tribunaux arbitraux a reçu l’aval des juridictions étatiques. La Cour d’appel de Paris a ainsi considéré dans deux arrêts de 1988 et 1989 que « la clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propres qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et dans les litiges qui peuvent en résulter, dès lors qu’il est établi que leur situation et leurs activités font présumer qu’elles ont eu connaissance de l’existence et de la portée de la clause d’arbitrage, bien qu’elles n’aient pas été signataires du contrat la stipulant » (Société Korsnas Marma v. Société Durand-Auzias, CA Paris, Ch 1, 30 novembre 1988, (1989) 4 Revue de l’arbitrage, pp. 691 et ss ; voir également Société Ofer Brothers v. The Tokyo Marine and Fire Insurance Co ltd et autres, CA Paris, Ch 1, 14 février 1989, (1989) 4 Revue de l’arbitrage, pp. 691 et ss.) . En effet, les juridictions françaises considèrent que l’implication directe dans l’exécution du contrat fait présumer que le tiers au contrat initial avait connaissance de l’existence de la clause compromissoire. Dès lors, la simple connaissance de l’existence de la clause la rend automatiquement opposable aux tiers, qui supporteraient, éventuellement, la charge de renverser cette présomption.

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a confirmé cette approche traditionnelle et précise que dès lors que la société tierce en cause s’est substituée à la société distributrice cocontractante pour l’exécution d’un contrat de distribution, « l’effet de la clause d’arbitrage contenue dans un contrat initial s’étend […] aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat » (Cass. civ. 1, 7 novembre 2012, No 11-25.891). Il faut en déduire que la Cour suprême juge que la substitution par un tiers dans l’exécution d’un contrat crée une présomption de connaissance et d’acceptation implicite de la clause compromissoire, qui devient dès lors opposable à ce tiers au contrat.

Cependant, le tiers a toujours la possibilité de renverser cette présomption. A cet égard, la Cour d’appel de Paris a jugé récemment que la clause compromissoire contenue dans un contrat confidentiel est manifestement inapplicable à une filiale, tiers au contrat initial, puisqu’elle ne pouvait en avoir connaissance en raison justement du caractère confidentiel du contrat (CA Paris, Chambre 1, 23 octobre 2012, No 12/04027).

Ces arrêts confirment l’admission de la présomption du consentement implicite par la jurisprudence française et l’extension des effets de la clause compromissoire à des tiers au contrat en raison notamment de leur implication dans l’exécution de celui-ci. Cette approche est néanmoins tempérée par la Cour d’appel de Paris qui érige la confidentialité en garde-fou au principe de l’extension.

Au-delà de nos frontières, le Tribunal fédéral suisse, en application du droit suisse, reconnait le même principe. Dans certaines hypothèses, un consentement implicite à l’arbitrage est reconnu et étend l’effet de la clause compromissoire à des tiers en raison de leur comportement. En 2008, il a été admis que « dans un certain nombre d’hypothèses, comme la cession de créance, la reprise (simple ou cumulative) de dette ou le transfert d’une relation contractuelle, [….] qu’une convention d’arbitrage peut obliger même des personnes qui ne l’ont pas signée et qui n’y sont pas mentionnées », et ce, puisque « le tiers qui s’immisce dans l’exécution du contrat contenant la convention d’arbitrage est réputé avoir adhéré, par actes concluants, à celle-ci si l’on peut inférer de cette immixtion sa volonté d’être partie à la convention d’arbitrage » (Tribunal fédéral suisse, 19 Août 2008, ATF 129 III 727, pp 735-737) . Nous rappellerons aussi qu’une sentence arbitrale rendue sous l’égide du règlement de la CNUDCI, dans laquelle le droit suisse était applicable, est également allée dans ce sens (E. Holding v Z Ltd., Mr. G. et al, Arbitrage CNUDCI, sentence finale, 24 août 2010, ASA Bulletin, 4/2011, pp. 884 – 896).

En synthèse, les sociétés participant à l’exécution d’un contrat, même accessoirement, sont averties que l’existence d’une clause compromissoire dans le contrat initial peut leur être opposable, même si elles n’en sont pas signataires.