Je ne vous dérangerai pas longtemps en pleine sieste vacancière, bercé par un chœur de cigales. Oyez, l’affaire est d’importance et a déjà fait couler des barils d’encre depuis le 7 juillet.

Notre bienheureux Alexandre, qui comme Ulysse a entrepris un long voyage au pied du mur d’Hadrien, départageant saxons et vikings en sa villa londonienne, en page 15 de cette Revue d’été aux senteurs de basilic et de vanille, vous conte la sentence Adidas par le menu.

Même si la décision arbitrale est maintenant disponible sur le net en version intégrale (c’est comme sur les plages où le nu intégral s’impose) avec les signatures des trois arbitres pour attester de l’authenticité, le fond ce cette affaire ne nous importe peu.

Doit-on s’empêcher pour autant de réagir, pauvre contribuable, même si l’affaire a été valorisante pour les arbitres et avocats, chacune des parties ayant mandaté plusieurs cabinets, dont vous trouverez les noms en début de sentence ? Non, on ne le peut pas.

Les arbitres nommés par un compromis du 30 janvier 2008, encore secret, sont incontestablement éminents (moyenne d’âge 80 ans, soit un total de 240 années). La composition du panel est remarquable et atteste de la suprématie du droit français :
· un professeur de droit émérite, Pierre Mazeaud, habitué des sommets et ex-président du Conseil Constitutionnel
· un ancien magistrat très supérieur et président honoraire de la Cour d’appel de Versailles, Pierre Estoup,
· un avocat perpétuel, Jean-Denis Bredin, écrivain et membre de l’Académie, associé fondateur du cabinet Badinter & Bredin, aujourd’hui Bredin Prat

Voilà qui en jette et donne envie de lire la sentence pour ses qualités littéraires.

C’est aussi l’occasion de lire ou de relire le pamphlet de Me Bredin intitulé « La révélation » : « Voici que le Président Urbain , rentrant chez lui, traînant le pas, se posait cette terrible question. Transformé en arbitre, était-il encore indépendant, impartial ? N’avait-il pas quelque chose de suspect à révéler ? »

Nous ignorons qui a désigné quel arbitre, même si la sélection – parité oblige – a dû être compétitive en raison du nombre élevé de prétendants pour une si belle mission : mettre fin à une flopée de procédures judiciaires, dont l’origine remonte à 1990 et les débuts judiciaires à 1998 (à peine 10 ans). L’équilibre au sein du tribunal est parfait, on sent là une main d’artiste habitué des hautes sphères.

L’arbitrage, justice privée, mais justice quand même, qui donne aux parties une meilleure prise sur leur destin bénéficie-t-elle de la sentence dite « Tapie » ? Rien n’est moins sûr, si l’on en croit le battage médiatique ( voir le Canard du 16 juillet « Flonflons pour Sarko, grosse caisse pour Tapie » ou « arbitrage en forme d’habillage »). La réponse doit toutefois être nuancée.

Parmi les qualités reconnues à l’arbitrage il y a la célérité, la prévisibilité et la confidentialité.

Sur la célérité nous donnerons un 20/20. En effet, le compromis a été conclu le 30 janvier 2008, les plaidoiries se sont déroulées à huis clos les 4 et 5 juin et la sentence rendue « publique » le 7 juillet. Imbattable, le tout a été réglé en moins de six mois. Bravo. Cela nous amènera à suggérer à nos arbitres qui délibèrent parfois pendant six mois, voire plus, qu’en un mois on peut délibérer et rédiger une sentence de 92 pages, dans un dossier complexe. Bravo. Vous nous direz que le temps a été médiocre en ce début d’été, peu propice aux sorties.

Sur la prévisibilité, nous donnerons un 19/20, tout avait été réglé d’avance selon le Canard Enchaîné, le compromis étant la clé de voûte, non pas la sentence, même le sort des honoraires des arbitres et des avocats avait été tranché dans le compromis.

Sur la confidentialité, rien ne saurait être dit, car nous ne savons pas qui est le donneur de la sentence signée sur le net. Cela pourrait être un proche du dossier, mais ces gens là se comptent par centaines, à Bercy et ailleurs. On nous rétorquera aussi que l’arbitrage n’est pas confidentiel (par opposition à la médiation) et rien n’interdit aux parties et à leurs conseils de jaser.

Vous ne connaîtrez pas le coût de cet arbitrage, la sentence étant coite, seul le compromis, qui finira bien par circuler, nous le dévoilera. Mais la pudeur nous empêcherait autrement de parler de ces quelques euros de juste rémunération à des juristes éminents, qui ont sacrifié leur balnéothérapie annuelle pour rendre la justice, là où d’éminents magistrats en activité, des trois niveaux de juridiction, sans oublier Monsieur Canivet en sa médiation, ont failli. Shame on them.

Faut-il garder un goût amer en bouche, un sentiment d’inachevé et un doute ? Y-a-t-il eu « habillage » pour reprendre le mot du Canard ? Si oui, un tel procédé contribue-t-il à la grandeur de l’arbitrage et à la réputation de la place de Paris ?

L’Etat a semble-t-il renoncé à se ridiculiser en n’introduisant pas un recours en annulation devant la CA de Paris, peut-être en raison du départ du Conseiller Hasher nommé à Reims. Qu’aurait fait son successeur ?

Il est trop tôt pour dresser un bilan de cette triste affaire – pas pour tout le monde – et des dommages collatéraux subis, mais nous estimons que l’arbitrage à la française, en attendant de plus amples informations, ne sort pas grandi de l’affaire Adidas, en raison de suspicions légitimes et de l’opacité de ce dossier. Nos concurrents helvètes vont s’en donner à cœur joie.

Il ne faut pas dévoyer l’arbitrage et sous aucun prétexte l’utiliser comme un « habillage » ou un procédé de convenance pure. Ce n’est pas le rôle de la justice, fût-elle privée. On se souviendra qu’il y a quelques temps on utilisait l’arbitrage pour légitimer des golden handshakes de dirigeants de grandes entreprises en partance, à quoi il a été mis fin par les lois Breton et TEPA.

Que la sentence du 7 juillet tombe vite dans l’oubli (au revoir tristesse) et n’empêche par Rachida de poursuivre ses réformes de la justice, mais avec préparation, délicatesse et réflexion.
Salutations aux senteurs de thym et de romarin.