Dans En enfance[1], titre à la fois banal et étrange dans sa formulation – s’agit-il d’un voyage en ce pays lointain? Est-il question de retomber dans un état dont l’adulte s’est éloigné? – Mathieu Lindon s’impose d’abord une curieuse exigence formelle, celle de donner aux 111 chapitres de son livre la mesure quasi identique d’un peu plus de deux pages. À partir de petits riens d’un quotidien retrouvé, il exerce un esprit d’analyse de lui-même et des autres particulièrement pénétrant dont la subtilité pourrait faire penser à Marcel Proust – les longues phrases somptueuses de ce dernier en moins -. Son écriture un peu abstraite peut dérouter, mais le portrait en creux de l’écrivain en enfant emporte l’adhésion.

C’est par son style qui ne ressemble à nul autre que se distingue Guy Goffette. La langue de ce grand poète est sensuelle et goûteuse. Dans Un été autour du cou[2], il évoque la scène primitive qui lui ouvrit les portes du domaine magique et attirant de la sexualité, mais d’une façon brutale qui l’empêcha – et l’empêche encore ? – d’y entrer d’une manière plus délicate, dont l’adulte semble garder la nostalgie.

La reine du silence[3] de Marie Nimier raconte une absence, celle du père, deux fois disparu, d’abord en quittant le foyer, puis en se tuant en voiture en 1962. Elle pèse lourd l’ombre portée de cet écrivain célèbre dans les années 50-60 que fut Roger Nimier. C’est avec une parfaite lucidité, sans indulgence, mais là aussi, avec une immense nostalgie que l’auteure dit un manque cruel.

A l’inverse, c’est d’une ineffaçable présence dont souffre Christine Angot, celle d’un père incestueux. Dans Une semaine de vacances[4] elle décrit avec une précision clinique les faits et gestes ainsi que les mots, ceux de son géniteur dans lesquels il l’enferme, prisonnière pour la vie de ses obsessions contre-nature. Proprement pornographique dans sa crudité, ce livre exceptionnel ne permet aucune complaisance car il dresse, dans un seul souffle douloureux, le portrait impitoyable et hallucinant d’un pervers narcissique et le mode opératoire de ses agissements. Le silence de la victime impuissante est brisé par une écriture sans concession aucune.

De ce qui marqua ses jeunes années, de la démarche singulière qu’il emploie à les restituer, des douleurs qu’il tente d’apaiser, des mots enfin qu’il trouve pour le dire, un écrivain de qualité fait de son lecteur un confident qui s’émeut, reconnaissant d’une si belle confiance.


[1] POL 2009, 341 p. + Folio 2013 [2] Gallimard 2001, 202 p. + Folio 2003 [3] Gallimard 2004, 171 p. + Folio 2006 [4] Flammarion 2012, 100 p. + J’ai lu 2013