Chicago, 1928, Alphonse Gabriel Capone -dit Scarface- achète « les Sanitary Cleaning Shops », une chaîne de blanchisseries, afin de recycler les profits tirés de ses nombreuses activités illicites. Certains théoriciens considèrent que l’expression « blanchiment d’argent » tire son origine de cette pratique.

En effet, l’image des blanchisseries reflète parfaitement le mécanisme du blanchiment de capitaux. L’objectif est bel et bien de faire subir à des sommes d’argent sale, c’est-à-dire acquis illicitement, un cycle d’opérations afin de rendre cet argent propre et de donner l’apparence qu’il provient d’une source licite.

Ces opérations peuvent se révéler complexes. En effet, quels procédés utiliser afin de blanchir l’argent sans éveiller le moindre soupçon ? Certaines activités illicites génèrent de petites sommes d’argent et ne déclenchent pas directement de soupçon. Ainsi, le petit trafiquant qui vend 300 euros de drogue par mois peut aisément les dépenser sans éveiller la suspicion des autorités. Ce n’est en revanche pas le cas d’un réseau de trafiquants de drogue qui récupère 20 000€ par mois. Comment, pourtant, peuvent-ils déposer cet argent à la banque, sans éveiller de suspicion ?

Le présent article n’a pas pour objectif de proposer un mode d’emploi du parfait blanchisseur de fonds, mais de faire un tour d’horizon autour de l’une des principales manifestations de la délinquance économique et financière.

Comme toute infraction, le blanchiment est constitué par un élément matériel et un élément moral.

En ce qui concerne l’élément moral, le délit de blanchiment est un délit intentionnel. En d’autres termes, l’auteur du blanchiment doit avoir agi sciemment. Il doit donc avoir la volonté de commettre cet acte tout en sachant que celui-ci est illicite. Par ailleurs, l’intention peut aussi être caractérisée par la simple connaissance que les fonds provenaient d’un délit ou d’un crime. Ainsi, la Cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt du 29 janvier 2008, caractérise l’élément intentionnel du blanchiment reproché à un père qui avait ouvert un compte bancaire à son nom pour l’usage exclusif de son fils trafiquant de drogue, en relevant qu’il savait pertinemment que ce fils, déjà condamné, était dépourvu de toute activité professionnelle, et qu’il avait alimenté le compte même après l’arrestation et l’incarcération de son fils, ce à quoi ne se serait pas prêté un individu qui aurait tout ignoré des activités filiales avant l’interpellation.

L’élément matériel quant à lui peut se caractériser sous deux formes. Ainsi, les articles 324-1 et suivants du Code pénal définissent le blanchiment comme le fait de « faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect ». Constitue également un blanchiment le fait « d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit. ». Notons que le blanchiment est « aggravé » lorsqu’il a été commis soit de façon habituelle, soit en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle, soit en bande organisée. Dans tous les autres cas, le blanchiment est qualifié de « simple ». L’opération de blanchiment consiste donc à tenter de dissimuler la provenance illicite des fonds.

Dès lors, le délit de blanchiment ne peut être qu’une infraction de conséquence, c’est à dire qu’il est obligatoirement associé à une infraction préalable. En effet, il porte sur le produit généré par un crime ou un délit préalable, que ce crime ou délit ait été commis par un tiers ou par l’auteur du blanchiment. Il peut s’agir d’un délit de corruption, d’un trafic de stupéfiants ou encore d’un abus de biens sociaux…

Le produit ainsi généré doit être blanchi et ce processus se déroule en trois étapes. La première étape, le placement (le prélavage ! pour les adeptes de la doctrine « Scarface »), permet de rompre le lien entre le produit de l’infraction et l’infraction elle-même. Ainsi, l’argent est introduit dans le circuit économique et financier. L’auteur du blanchiment peut ainsi placer l’argent au sein d’établissements financiers, par le biais de dépôts fractionnés sur des comptes bancaires ou par le biais d’achats d’instruments financiers. Il peut également investir dans des activités telles que la création de commerce, dont les revenus sont principalement constitués d’espèces, afin de mélanger l’argent sale aux recettes de l’activité. Le domaine de prédilection est la restauration. Aussi, pendant que certains achètent des objets de luxe, d’autres préfèrent déclarer de faux gains aux jeux, en achetant des jetons au casino avec de l’argent liquide pour ensuite les convertir en argent à la sortie. Certains n’hésitent pas également à mettre en place des systèmes de fausses factures. A titre illustratif, une première société complice adresse à une seconde société complice une facture portant sur des prestations réelles, mais surfacturées. La seconde société règle la première par chèque ou par virement. La seconde rembourse directement à la première (en liquide bien entendu !), le montant qui a été surfacturé.

Grâce au placement, l’argent a intégré le circuit économique avec succès. L’étape suivante, l’empilage ( ou le lavage !), consiste à réaliser de multiples transactions afin de brouiller les pistes et masquer l’origine des fonds. Ainsi l’auteur du blanchiment peut acheter et revendre des biens, effectuer de multiples transferts bancaires ou multiplier les transactions en bourse.

L’empilage terminé, on passe à l’étape finale : l’intégration (l’essorage !). Cette ultime phase du cycle permet à l’auteur du blanchiment de disposer des fonds puisque la manière dont il les a acquis ne peut plus être décelée. Il peut alors les dépenser et les investir dans des activités économiques légales. L’auteur du blanchiment peut ainsi effectuer des placements financiers (achats de bons du Trésor, SICAV…), des placements immobiliers, des investissements commerciaux…

Ainsi, les mécanismes mis en œuvre sont variés. Le blanchiment est une réalité mouvante. Comme le précise à juste titre Denis Robert dans son œuvre « Une affaire personnelle », « i[les vrais mafieux lisent le Financial Time ou le Wall Street Journal […]. Ils achètent des clubs de football avec des copains traders ou des actions du CAC 40 parce que c’est plus clean. ]i». Les auteurs de blanchiment s’adaptent et créent des tendances. Ils « i[suivent les chemins tout tracés par les entreprises multinationales et […] emprunt[ent] les multiples circuits d’occultation que la plus fine fleur des avocats, notaires et banquiers londoniens, luxembourgeois et genevois ont su inventer . ]i» (T. Godefroy, P. Lascoumes, le capitalisme clandestin). Ils élaborent de nouveaux montages de plus en plus complexes et qui impliquent de multiples secteurs (casinos, établissements de crédit, bureaux de change, loteries, sociétés écran, ventes aux enchères, sociétés d’assurances…).

Afin de permettre aux professionnels concernés de mieux appréhender ces mécanismes et de mettre en place un dispositif efficace de lutte contre le blanchiment, le GAFI, groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux, organisation intergouvernementale mise en place dès 1989 par les membres du G7 (devenu depuis le G8) élabore régulièrement des typologies de blanchiment de capitaux (Voir, à titre d’exemple : Money Laundering Through The Football Sector, July 2009).

Un dispositif national de lutte contre le blanchiment a également été mis en place. La loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 est la première loi relative au blanchiment de capitaux. Elle impose notamment aux banques, des obligations de déclaration à TRACFIN (Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits FINanciers clandestins) des sommes pouvant provenir de trafics de stupéfiants. TRACFIN est la cellule française de lutte anti-blanchiment et dépend des ministres de l’Économie, des finances et de l’emploi ainsi que du Budget.

En 2009, la troisième directive européenne n° 2005/60/CE du 26 octobre 2005 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux est transposée par l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009.

Le cadre juridique met désormais en œuvre une nouvelle forme de lutte contre le blanchiment de capitaux et met à la charge des professionnels assujettis des obligations de vigilance et de déclaration alourdies. A ce titre, les banques, qui figurent parmi les établissements assujettis à la réglementation contre le blanchiment, sont qualifiées de « sentinelles de l’argent sale » (G. Favarel-Garrigues, T. Godefroy, P. Lascoumes, Centre de Recherches sociologique sur le droit et les institutions pénales). Elles sont en effet, au centre des flux financiers et sont à même de surveiller ces flux puisqu’elles constituent les vecteurs principaux des opérations de blanchiment.

Enfin, qu’en est-il des sanctions pénales ? L’auteur du délit de blanchiment s’expose à cinq ans d’emprisonnement et 37.5000 euros d’amende lorsqu’il s’agit d’un blanchiment simple et à dix ans d’emprisonnement et 750.000 euros d’amende en cas de blanchiment aggravé. Ces sanctions peuvent s’accompagner de peines complémentaires (dissolution, interdiction d’exercice, placement sous surveillance judiciaire…).

Les professions assujetties à la réglementation contre le blanchiment sont ainsi doublement exposées à des sanctions pénales. D’une part, elles sont soumises aux dispositions du Code pénal qui incrimine le délit général de blanchiment. La sanction applicable est celle du blanchiment aggravé puisqu’il est commis en utilisant les facilités que procure l’activité professionnelle. Par ailleurs, d’autres infractions pénales sont prévues. A titre d’exemple, le fait de révéler à un client qu’il a fait l’objet d’une déclaration de soupçon est passible de sanctions pénales : 22.500€ d’amende (article L574-1 du Code monétaire et financier).

Face à la recrudescence des dispositifs de lutte contre le blanchiment et à la complexification des montages mis en œuvre par les auteurs de blanchiment, il devient nécessaire de former des spécialistes de la délinquance économique et financière.

A ce titre, des formations spécifiques ont vu le jour. Tel est le cas du Master II Droit pénal financier de l’Université de Cergy-Pontoise. Ce troisième cycle porte principalement sur la prévention, la détection et la répression de la délinquance financière. L’avantage d’une telle formation est qu’elle se déroule en alternance. Les étudiants apprentis sont complètement immergés dans des milieux professionnels variés (cabinets d’avocats, banques, entreprises d’investissement, services juridiques d’entreprises, départements Conformité des établissements financiers…). Ils acquièrent une pluridisciplinarité (droit des marchés financiers, droit pénal des affaires, comptabilité, fiscalité…), une expérience professionnelle unique, et disposent alors des armes nécessaires afin de mener une lutte opérationnelle et efficace contre la délinquance économique et financière.

A l’instar des « vrais mafieux » de Denis Robert, ces étudiants-là lisent la presse financière, mais ajoutent à leurs lectures Code pénal et Code Monétaire et Financier. Tel est pris qui croyait prendre…

Vous l’aurez deviné, Binta, est titulaire d’un Master II droit pénal financier de l’Université de Cergy-Pontoise. Son mémoire a porté sur « La IIIème directive Blanchiment et le financement automobile ». Elle est d’autre part titulaire d’un Master I Droit de l’entreprise mention droit des affaires et un Diplôme de juriste bilingue anglo-américain (Business Law, Criminal Law, Civil Procedure…).
Binta vient de débuter un stage de trois mois chez Hammonds Hausmann.