La question peut paraitre surprenante dès lors qu’il convient de concéder, qu’à ce jour, moins d’une dizaine de touristes ont eu l’occasion de s’aventurer dans l’espace en rejoignant la station spatiale internationale (ISS) moyennant la coquette somme de 20 millions de dollars.

Pourtant, ce faible nombre ne doit pas cacher la vitalité des projets de vols suborbitaux qui redonne espoir en une nouvelle conquête de l’espace.

Les projets variés doivent permettent d’emmener des touristes au-delà de la ligne de Kármán, ligne arbitraire de délimitation entre l’atmosphère terrestre et l’espace, à bord d’un vaisseau hybride pour un vol d’une durée de 2 à 3 heures et de passer cinq minutes en impesanteur. Avec un marché que certains estiment à 15 000 touristes par an, le ticket pour l’espace varierait entre 150 et 250 000 euros par passager dans un premier temps.

Au-delà des vols touristiques, certaines entreprises, notamment Reaction Engines avec le projet Skylon, nous promettent une révolution en proposant des vols spatiaux permettant de rejoindre n’importe quel point de la terre en moins de quatre heures.

Le début de l’année 2016 a été l’occasion de nombreuses avancées :

  • Virgin Galactic vient de présenter Unity, le nouvel exemplaire du SpaceShipTwo, après plusieurs années de doutes suite au crash de son premier prototype ;
  • Blue Origin et Space X ont réussi l’exploit de faire atterrir sur une barge en pleine mer leur fusée respective, New Shepard et Falcon 9, ouvrant la voie à leur réutilisation et à une réduction importante des coûts ;
  • Toth Technologie a déposé un brevet pour un ascenseur spatial haut de 20 kilomètres ;
  • Bigelow Aerospace rêve de transformer l’ISS en hôtel en lui arrimant des modules gonflables ;
  • La reine d’Angleterre s’est emparée du sujet lors de son dernier discours du trône en annonçant la construction par la Grande-Bretagne d’un spatioport avant 2020 ;
  • Et non moins capital, Ballantine’s a imaginé un verre qui permettra aux futurs touristes de l’espace de boire du whisky en impesanteur.

Nul besoin de préciser que chaque avancée technologique donne l’occasion à l’homo juridicus de voyager aux confins du droit. Cela d’autant que, en l’absence de réglementation internationale spécifique, la matière y est propice. Pour l’heure, seuls les États-Unis ont véritablement commencé à légiférer en la matière. L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale vient, cependant, d’indiquer travailler sur un ensemble de règlements pour encadrer le transport spatial, y compris le tourisme[1] . Dans l’attente, le flou reste entier en ce qui concerne le régime juridique applicable ainsi que la responsabilité des opérateurs vis-à-vis des participants.

Régime juridique des vols suborbitaux : droit aérien ou droit spatial ?

La principale difficulté vient du fait que les qualifications juridiques restent malaisées en raison :

  • De l’absence de délimitation précise de l’espace aérien et spatial : la ligne de Kármán fixée à 100 km au-dessus de la surface de la terre étant parfaitement arbitraire dès lors que l’atmosphère ne s’arrête pas à une hauteur donnée ;
  • Du caractère hybride des vaisseaux utilisés (mi-aéronef, mi-fusée), la plupart des projets faisant tant appel à un avion porteur qu’à un avion-fusée qui, une fois largué, entame seul une montée à la verticale.
    Le droit aérien définit l’aéronef comme « un appareil capable de se soutenir dans l’atmosphère grâce aux réactions de l’air autrement que par les réactions de l’air contre la surface de la terre[2]». Or, tout l’intérêt de dépasser la ligne de Kármán est de parvenir à une altitude suffisante pour que, en l’absence d’atmosphère, le vaisseau puisse chuter provoquant la situation d’impesanteur ce qui s’avère incompatible, au moins pour une partie du « vol », avec la définition précitée.

Dans ces conditions, faut-il opérer une segmentation des vols et appliquer tant le droit aérien que le droit spatial ou créer un régime juridique sui generis ? La seconde solution a été privilégiée aux Etats-Unis, dès 2004, avec le Commercial Space Launch Amendments Act (« CSLA ») et nous semble devoir être privilégiée afin de tenir compte des spécificités de ces projets impliquant des non-professionnels.

Responsabilités des opérateurs envers les « participants »

Par principe, l’espace extra-atmosphérique reste un lieu d’exercice de la compétence personnelle de l’Etat de lancement des engins que les activités soient effectuées par des entités publiques ou privées.[3] L’Etat de lancement exerce sa juridiction sur l’objet et le personnel à bord par le biais de l’immatriculation[4].

À ce titre, le droit américain prévoit une renonciation mutuelle à recours (mutual waiver of liability) entre les membres d’équipage ou les participants[5] et le gouvernement fédéral[6]. Cependant, cette obligation n’a pas été étendue entre les membres d’équipage et les participants ainsi qu’entre ces derniers et l’opérateur du vol par le CSLA. A la place, la loi fédérale impose que les opérateurs fournissent aux participants des informations sur les risques encourus et obtiennent leur consentement écrit. L’engagement de la responsabilité des entités, autres que l’État, impliquées dans l’activité reste donc possible.

Certains États fédérés[7]sont intervenus pour restreindre la responsabilité des opérateurs[8]. En théorie, ces derniers pourront également demander aux participants de renoncer à d’éventuels recours par voie contractuelle mais la validité de telles clauses aux États-Unis comme ailleurs pourra être remise en cause, en particulier en cas de blessures ou de décès.

Bien que la France s’inscrive parmi les puissances spatiales, le régime juridique encadrant ces activités sont principalement régies par les traités internationaux et par la loi du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales qui s’avère lacunaire. En matière de responsabilité, celle-ci se contente d’instaurer un régime spécifique limitant les possibilités de recours des participants aux seuls cas où les dispositions contractuelles le prévoient ou en cas de faute intentionnelle[9] .

De très nombreuses questions ne sont ainsi nullement réglées mais devront pourtant l’être.

En matière de responsabilité contractuelle notamment. On peut ainsi songer aux risques financiers en cas d’annulation ou de report de la mission, de même qu’en cas de disqualification d’un candidat pour raison médicale (remboursement des arrhes ou, à l’inverse, paiement du solde). La justice américaine connait déjà du premier contentieux en matière de tourisme spatial né du refus de la société Space Adventures de rembourser les sommes versées par un candidat disqualifié pour un voyage à bord de l’ISS[10] .

Assurance

Les activités spatiales peuvent être menées grâce au recours à l’assurance. Cependant, les difficultés liées à la responsabilité posent la question de l’assurabilité des projets : le tourisme spatial est-il trop risqué pour trouver porteur ?

Les possibilités de souscrire à une assurance dépendront de l’évaluation des risques faite par les assureurs qui ne disposent que peu de recul, tant historique que statistique.

Avec un taux de mortalité de 4 % (24 personnes sur les 547 qui sont allées dans l’espace sont décédées durant leur mission), les risques sont grands. Par comparaison, seulement 2 personnes en moyenne sur 100 million de passagers décèdent sur des vols commerciaux ce qui fait dire à certains que le moindre accident entamerait toute chance de développement du secteur.

Par ailleurs, les incertitudes pour les assureurs sont grandes et les protections des textes de droit interne, lorsqu’ils en existent, semblent insuffisantes à les attirer. Ici comme ailleurs, les conséquences négatives des incertitudes juridiques et réglementaires sur les décisions commerciales sont importantes.

Si certains industriels sont prêts à développer des projets afin d’ouvrir la voie à une nouvelle conquête de l’espace, il ne reste plus à nos législateurs qu’à en assurer la pérennité. Ils ne pourront ainsi que participer à la concrétisation d’un rêve enfantin que la plupart d’entre nous a fait un jour ou l’autre : devenir astronaute…
  Contact : carole.sportes@squirepb.com    


[1] http://www.icao.int/Newsroom/Pages/FR/ICAO-Symposium-Continues-Momentum-toward-Safe-Integration-of-Space-Transportation_FR.asp [2] Annexe 7 de la Convention relative à l’aviation civile internationale du 7 décembre 1944, dite Convention de Chicago 
[3] Article 6 Traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique [4] Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique du 12 novembre 1974 [5] « Space flight participant », terme retenu par le CSLA, le participant n’étant donc ni touriste, ni astronaute [6] FAA, Human Space Flight Requirements for Crew and Space Flight Participants [7] Notamment au Nouveau Mexique « Space Flight Informed Consent Act », 27 février 2010 ; en Floride « SB 652, Liability for Space Flight Entities », 17 juin 2011 et au Texas « Limited Liability for Space Flight Activities », 21 April 2011 [8]La primauté du droit des Etats fédérés en matière de responsabilité délictuelle reste sujette à débats. [9]Article 20 de la loi n° 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales [10] Enomoto v. Space Adventures Ltd, District Court of Virginia