Dans deux affaires récentes en matière de vins et spiritueux, la question de la similitude entre deux marques a donné lieu à de fines appréciations faisant appel à la culture générale du « consommateur moyennement attentif » dans les catégories d’alcool visées.

En droit des marques, il convient de caractériser le risque de confusion dans l’esprit du public entre les deux produits que ce soit par la similitude sonore ou la similitude visuelle et ce, dans la catégorie dans laquelle la marque antérieure est enregistrée.

La classe 33 vise sans distinction « les boissons alcooliques (à l’exception des bières), les cidres, les digestifs (alcools et liqueurs), les vins, les spiritueux, les extraits ou essences alcooliques ».

Les juges doivent apprécier si le consommateur d’attention moyenne risque de confondre le produit A avec l’image qu’il a conservée du produit B. Lorsque ni les signes de la marque ni l’apparence visuelle du produit ne permettent d’établir le risque de confusion, certains termes étant génériques pour ce type de produits, il faut parfois aller plus loin, donner de sa personne, faire preuve de culture générale.

Nous n’en sommes pas encore à la similitude gustative… quoique.

En matière de vins et de spiritueux, les juges semblent aujourd’hui avoir une haute estime des capacités de distinction des consommateurs entre les différents produits.

Le juge français, dans l’affaire The Scotch Whisky Association Swa (Royaume-Uni) c. Les Grands Chais de France SA et Groupe 20 SA a statué sur le risque de confusion entre le whisky « Cromwell’s rare blended whisky » et les whiskies d’origine écossaise.

Après avoir épuisé l’analyse des éléments pouvant entraîner visuellement une confusion, à savoir si l’étiquette, le nom, une mention en anglais, un dessin quelconque ou la forme de la bouteille pouvait laisser penser que le whisky litigieux était d’origine écossaise, il restait encore à déterminer si le risque de confusion était établi par le sondage produit aux débats.

En l’espèce, le risque de confusion n’était nettement pas établi car la confusion pouvait résulter de la culture générale des consommateurs moyennement attentifs.

Était en effet produit aux débats un sondage rapportant que 71% des personnes interrogées estimaient que le whisky litigieux était de provenance britannique. Sans doute influencés par leur connaissance du whisky, dont ils se souvenaient de l’origine historique, par la présence de visuels récurrents liés à l’Écosse dans les publicités audiovisuelles et plastiques classiques pour les whiskies et par une vague situation géographique européenne, les sondés n’auraient sans doute pas pu cocher une autre case du sondage que celle de l’origine britannique.

Il aurait sans doute été utile de prendre en compte le degré de culture générale des sondés avant de les soumettre au test.

Les juges ont apprécié la preuve souverainement et ont considéré qu’il n’y avait pas lieu à confusion, déboutant ainsi l’association de défense des whiskies d’origine écossaise.

De là à dire qu’il aurait fallu faire goûter le whisky litigieux pour savoir s’il était susceptible de créer une confusion dans l’esprit du consommateur…

Le juge européen, dans l’affaire TPICE 4e ch., 15 févr. 2007, aff. T-501/04, Bodegas Franco-Españolas, SA, c/ OHMI s’est quant à lui prononcé sur la similitude entre un vin de la Rioja et un vin de Porto.

La société Bodegas Franco-Españolas a demandé l’enregistrement de la marque communautaire ROYAL dans la classe 33 pour désigner du vin portugais de La Rioja. Aussitôt déposée, la demande de marque a fait l’objet d’une opposition par la Companhia Geral da Agricultura das Vinhas do Alto Douro, qui produit du vin de Porto, notamment sous la marque verbale communautaire ROYAL FEITORA.

La décision de la Division de l’opposition puis la première chambre de recours de l’OHMI ont fait droit à l’opposition.

Pour le demandeur à la marque, fabricant de vin de la Rioja : les marques en cause ne sont pas concurrentes ; le mot « feitoria », qui fait référence à l’endroit où les vins sont stockés, commercialisés ou transportés, est l’élément distinctif dominant de la marque antérieure ; le mot anglais « royal » est dénué de caractère distinctif car simplement perçu comme un terme élogieux pour du vin.

Pour l’OHMI, au contraire, le vin de Porto et le vin de La Rioja ont une origine commune (le raisin), sont tous les deux bus lors de repas ou d’occasions spéciales, empruntent les mêmes canaux de distribution et s’adressent à une même catégorie de consommateurs. Ils sont même complémentaires. Le mot « feitoria » ne possèderait pas, au Portugal, de caractère distinctif élevé pour ces produits, alors que le terme « royal » aurait, de son côté, un certain caractère distinctif. Le public portugais pourrait donc attribuer la même provenance commerciale aux deux produits.

Le tribunal fait alors preuve d’un grand talent d’œnologue en comparant subtilement les deux vins litigieux :

« Les produits en cause, bien qu’appartenant à la même catégorie, celle des boissons alcooliques, et partageant les mêmes canaux de distribution et les mêmes établissements de vente, ne sont pas identiques et se distinguent clairement par leur provenance, leur nature, leur destination et leur utilisation différentes. Le vin de La Rioja se boit, en principe, pendant les repas, tandis que le vin de Porto se boit en tant qu’apéritif ou digestif, selon les habitudes. Le vin de Porto, ayant une teneur en alcool de 19 à 22 %, est connu depuis des siècles et est produit dans la région délimitée de la vallée du Douro, au Portugal. Il se caractérise par une fermentation courte et par l’addition d’alcool vinique. Le vin de La Rioja, ayant une teneur en alcool moins élevée, également très connu, est produit dans la région espagnole de La Rioja et appartient à la catégorie des vins dont la fermentation est totale sans qu’il y ait d’addition d’alcool vinique ».

Ce qui permet au TPICE d’en déduire un faible degré de similitude des produits en cause, tant au Portugal que dans le reste de la Communauté européenne.

S’agissant des signes en conflit, le TPICE, estimant qu’ils ne sont pas similaires, conclut que le signe « feitoria » de la marque antérieure suffit à les différencier et que le signe « royal » ne peut être considéré comme un élément dominant de la marque de vin de Porto.

La décision de la 1ère chambre de recours de l’OHMI est donc annulée.

Le tribunal de première instance des Communautés européennes crée ainsi de facto au sein de la classe 33, une sous-catégorie entre les différents vins selon leur mode de fermentation et l’heure à laquelle ils sont consommés, affinant ainsi le référentiel officiel à l’étalon duquel il doit être établi un risque de confusion.

Tout est bien une question de mesure comme le soutenait Épicure.

PS : L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.