CJUE 3 décembre 2015, aff. C-338/14

Le droit français est souvent considéré comme plus protecteur des agents commerciaux que d’autres lois nationales dans l’UE, notamment concernant l’importance de l’indemnité due à l’agent en fin de contrat.  Un arrêt de la CJUE remet en question cette perception en rappelant que dans les pays où le législateur a opté pour l’indemnité de clientèle, l’agent peut avoir droit, en plus, à la compensation de son préjudice non couvert par l’indemnité.

Contexte règlementaire

1. La directive

La directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants a instauré plusieurs règles au niveau de l’Union Européenne auxquelles les législations nationales doivent se conformer.

Son article 17 prévoit que les États membres peuvent choisir dans leur législation nationale, en ce qui concerne les sommes versés à la cessation du contrat, parmi deux options proposées :

– La « réparation du préjudice causé par la cessation de ses relations », qui prive l’agent commercial de commissions pour une activité qui procure des avantages à la société et/ou ou qui ne lui a pas permis d’amortir ses frais et dépenses engagées pour l’exécution du contrat sur recommandation de la société. Cette indemnisation n’est par définition pas plafonnée.

– Une « indemnité de clientèle », lorsqu’après la cessation du contrat la société « a encore des avantages substantiels résultant des opérations » réalisées par l’agent commercial auprès des clients qu’il a apporté ou développés.  Cette indemnité ne peut être supérieure à 1 an de rémunération de l’agent, calculée sur la moyenne des 5 dernières années.  Il est prévu, et c’est le point central des questions posées à la CJUE, que l’octroi d’une indemnité ne prive pas l’agent commercial de faire valoir des dommages et intérêts.

2. Loi française et loi belge

Le droit français a opté pour la réparation du préjudice de l’agent.  En pratique, les tribunaux accordent généralement 2 ans de commissions brutes calculées sur une moyenne des 3 dernières années, mais le montant peut, selon les circonstances, être plus élevé ou moins élevé.

Le droit belge prévoit quant à lui, que l’agent commercial a droit à une indemnité d’éviction lors de la cessation du contrat. Il est également prévu que lorsque l’indemnité attribuée ne couvre pas l’intégralité du préjudice réellement subi, l’agent commercial peut obtenir en plus de cette indemnité, des dommages et intérêts égaux à la différence entre le montant du préjudice réellement subi et celui de l’indemnité.

L’arrêt de la CJUE

La Cour d’appel de Bruxelles, par une question préjudicielle, a demandé à la CJUE d’apporter des précisions sur le paiement de dommages et intérêts dans le cadre de l’option de l’indemnité de clientèle.

La Cour rappelle que la Directive prévoit expressément qu’une réglementation nationale puisse prévoir que l’agent commercial ait droit lors de la cessation du contrat d’agence, à la fois à une indemnité de clientèle (limitée au maximum à 1 année de sa rémunération) et, si cette indemnité ne couvre pas l’intégralité du préjudice réellement subi, à des dommages et intérêts complémentaires. La Cour rappelle que les dispositions de la Directive visent à harmoniser seulement la réparation du préjudice de clientèle.

La Cour précise que les législations nationales sont entièrement libres de prévoir si l’octroi des dommages et intérêts supplémentaires résulte de la simple rupture unilatérale ou de la fin de contrat ou dépend de l’existence d’une faute, qu’elle soit contractuelle ou délictuelle, et qui soit en relation causale avec le préjudice allégué. En l’occurrence le droit belge n’exigeait pas de « faute ».

La seule exigence posée par la Cour est que les dommages et intérêts réparent bien un « préjudice distinct » de celui réparé par l’indemnité de clientèle. Dans le cas contraire, cela reviendrait pour les États à appliquer les deux options prévues par la Directive, qui sont nécessairement alternatives.
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  La décision de la CJUE montre que se placer sous la législation d’un État qui a choisi l’option de l’indemnité de clientèle ne limite pas automatiquement le montant total des sommes versées en fin de contrat à un an de commission. Il convient donc d’examiner au cas par cas la législation nationale régissant le contrat, de bien rédiger le contrat et de tenir compte de ces facteurs au moment de la décision de mettre fin audit contrat.

Contact : stephanie.faber@squirepb.com