Apport de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle

Suite à l’adoption ces deux dernières années[1] de quatre ordonnances relatives au droit des entreprises en difficulté, leur ratification et une clarification de leurs apports s’imposaient. C’est ainsi que la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle consacre dans son septième titre intitulé « rénover et adapter la justice commerciale aux enjeux de la vie économique et de l’emploi » un chapitre relatif à l’adaptation du traitement des entreprises en difficulté.

Ainsi, et de manière non exhaustive, il convient d’évoquer la modification de l’article L. 234-1 du code de commerce pour permettre au commissaire au compte qui a déclenché la procédure d’alerte d’être entendu par le président du tribunal.

De plus, opportunément et afin de garantir la confidentialité du mandat ad hoc et de la procédure de conciliation, le débiteur ne sera plus tenu d’informer le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, de la désignation d’un mandataire ou de l’ouverture de la procédure de conciliation (respectivement articles L. 611-3 et L. 611-6 du code de commerce).

Toujours à propos des mandats ad hoc et procédures de conciliation, aux termes du nouvel article    L. 642-2 du code de commerce, les mandataires ou conciliateurs ayant organisé la cession partielle ou totale de l’entreprise débitrice, devront rendre compte « au tribunal des démarches effectuées en vue de recevoir des offres de reprises ».

Plus étonnant est l’insertion d’un nouvel alinéa à l’article L. 621-1 du même code, confiant au tribunal la mission consistant à inviter le débiteur qui n’a pu obtenir l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, à demander celle d’une procédure de conciliation s’il ne fait pas face à des difficultés insurmontables.

Le privilège dit de conciliation, également appelé privilège de « new money », est conforté. L’article  L. 626-30-2 du code de commerce dispose que « ne peuvent faire l’objet de remises ou de délais qui n’auraient pas été acceptés par les créanciers les créances garanties par le privilège établi au premier alinéa de l’article L.611-11. »

Enfin, sont à noter de nouvelles incapacités pour les membres des tribunaux, ainsi « Le président du tribunal, s’il a connu du débiteur en application du titre 1er du présent livre, ne peut être désigné juge-commissaire » (article L. 621-4 du code de commerce pour la sauvegarde, la disposition étant similaire dans l’article L. 641-1 du même code concernant la liquidation).

Application de l’article L. 650-1 du Code de commerce

Dans cette matière si mouvante du droit des entreprises en difficulté, la jurisprudence n’a de cesse de préciser les modalités d’application des textes en vigueur. C’est ce que développe la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juillet 2016 (n° 14-29.429) concernant l’application de l’article L. 650-1 du code de commerce, si cher aux établissements de crédit ayant consenti un concours financier.

Pour rappel, cet article dispose que toute action en responsabilité contre un créancier ayant consenti un crédit à un débiteur en procédure collective est impossible, sauf à ce que soient déterminés « les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou [que] les garanties prises en contrepartie de ces concours [soient] disproportionnées à ceux-ci ».

En l’espèce, les juges de la Haute cour n’établissent aucun lien entre cette exonération de responsabilité des fournisseurs de crédit et la procédure collective du débiteur emprunteur. En effet, selon cette décision, l’action en responsabilité contre le créancier du fait des concours consentis est indépendante non seulement de la procédure collective de l’emprunteur, mais également de l’article L. 650-1 du Code de commerce. Ce dernier texte donne les conditions d’exonération de la responsabilité d’un créancier ayant consenti un crédit et ne constitue donc pas le fondement de cette action.

La procédure collective du débiteur n’exerce aucune « influence juridique » sur la recherche de responsabilité du créancier. Cette décision apparait conforme à l’esprit du texte qui n’offre aucun moyen d’action au débiteur.

Aux juges saisis de cette action en responsabilité de décider si le cas d’espèce permet de démontrer l’une de ces conditions et ainsi fonder une action en responsabilité contre le créancier ayant consenti un concours fautif. La reconnaissance d’un soutien abusif nécessite la preuve d’une faute du fournisseur de crédit, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux.

La conséquence directe en est que le tribunal compétent pour juger de cette éventuelle responsabilité n’a pas à être celui qui a ouvert la procédure collective du débiteur emprunteur. Aucune corrélation ne peut être établie entre une action en responsabilité du fait de la fourniture de crédit et la procédure collective du débiteur.

L’ « influence juridique » citée dans l’attendu des magistrats, notion subjective par essence, ne laisse aucune place à l’interprétation. Le lien entre l’action en responsabilité et la procédure collective de l’emprunteur ne peut être établi même si la situation du débiteur en procédure collective est une condition de l’exonération de responsabilité du fournisseur de crédit.

L’article L. 650-1 comprend un second alinéa qui dispose que « pour le cas où la responsabilité d’un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge ».
Les juges ont une faculté d’annuler les garanties excessives, et non une obligation de prononcer la nullité de celles-ci. Ainsi, concernant ce second alinéa, un premier tribunal peut déclarer responsable le créancier et un second déclarer nulles les garanties octroyées, du fait de la procédure collective qu’il a ouverte et du jugement de ces premiers magistrats. Si l’enchainement de décisions peut souffrir d’un manque de clarté, il est parfaitement fondé et source de sécurité juridique.

Compensation de dettes connexes et interdiction de paiements des dettes « non utiles »

Dans ce paysage jurisprudentiel agité et afin de mettre fin à toute contestation des juges du fond, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient rappeler dans un arrêt du 11 octobre 2016 (n°14-20.581) le principe de la compensation de dettes connexes et d’interdiction de paiements des dettes « non utiles ».

Était en cause la veuve d’un associé d’une société possédant un compte courant dont le solde était débiteur.

Cependant, cet associé était également détenteur d’une créance de dividende à l’encontre de cette même société. La décision d’octroi de ces dividendes avait été prise postérieurement à celle du tribunal ayant prononcé une liquidation judiciaire à l’encontre de la société.

L’épouse de l’associé décédé avait été appelée en paiement du solde débiteur du compte courant par le liquidateur judiciaire. Celle-ci invoquait alors la compensation des dettes connexes, constituées par le solde débiteur et par les dividendes impayés, ce qu’avait entendu la Cour d’appel de Douai.

La Haute cour casse cette dernière décision au motif que pour être opposable à la procédure collective et être susceptible d’être payée grâce au mécanisme de compensation des dettes connexes, toute créance qui n’est pas née pour les besoins de la procédure collective ou en contrepartie d’une prestation fournie à cette société pour les besoins de son activité professionnelle, doit être déclarée.

L’article L. 622-7 du Code de commerce pose l’un des principes les plus importants en matière de procédure collective. En effet, tout paiement de créances antérieures ou de créances postérieures non utiles à la procédure est interdit. Cette dernière catégorie correspond aux créances nées de la poursuite de l’activité pour les besoins de la liquidation judiciaire ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant le maintien de l’activité.
La compensation des dettes connexes est un mécanisme apprécié et utilisé par les débiteurs placés en procédure collective, qui déroge à ce principe d’interdiction des paiements. Ceci peut éviter une sortie de capitaux pour une entreprise déjà fragile financièrement. Il convient ainsi de noter que la connexité entre un solde débiteur de compte courant et un montant de dividende restant à verser n’a pas été exclue par la Cour de cassation.

Toutefois, si la déclaration des créances antérieures ne pose pas de problème particulier, celles des créances postérieures à la publication du jugement d’ouverture de la procédure collective peuvent apparaitre plus compliquées. En l’espèce, le débiteur invoquait le fait que les créances soient connexes, mais le mécanisme même de compensation de dettes connexes a pour préalable la déclaration des créances, même postérieures, si elles sont non utiles à la procédure. En réalité, la Haute cour avait d’ores et déjà établi que les créances postérieures non utiles, connexes ou non, devaient être déclarées à la procédure pour lui être opposables[2].

 

 


[1] L’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives ; L’ordonnance n° 2014-1088 du 26 septembre 2014 complétant l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives ; L’ordonnance n° 2015-1287 du 15 octobre 2015 portant fusion de la Commission nationale d’inscription et de discipline des administrateurs judiciaires et de la Commission nationale d’inscription et de discipline des mandataires judiciaires ; L’ordonnance n° 2016-727 du 2 juin 2016 relative à la désignation en justice, à titre habituel, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires en qualité de liquidateur ou d’assistant du juge commis dans certaines procédures prévues au titre IV du livre VI du Code de commerce.
[2] Cass. Com. 3 mai 2011 n°10-16.758 et Cass. Com. 18 janvier 2005 n°02-12.324, et pour les créances antérieures Com. 19 juin 2012, no 10-21.641