La Cour de cassation, dans cet arrêt récent reprend et précise sa jurisprudence sur la compétence accordée au juge étatique en matière de mesures d’instruction, ici une expertise judiciaire alors que les parties au litige sont engagées par une clause compromissoire.
En effet, si le principe de la compétence accessoire du juge judiciaire est admis par la Cour de cassation depuis plusieurs décennies, il ressort de l’analyse des arrêts des cours d’appel et de la Cour de cassation, que cette compétence demeure la source d’incertitudes sur la répartition dans le temps de cette possibilité offerte au juge d’intervenir, même brièvement, dans un litige soumis à la compétence arbitrale.

En l’espèce, seule une partie avait désigné son arbitre, l’autre s’étant abstenue, au moment où elle décida de solliciter en référé la désignation d’un expert judiciaire.

Or la Cour de cassation juge que "l’instance arbitrale n’est en cours qu’à partir du moment où le tribunal arbitral est définitivement constitué et peut donc être saisi du litige, c’est à dire à partir de l’acceptation par tous les arbitres de leur mission".

Le critère d’instance arbitrale en cours est ainsi directement associé à la date d’acceptation de la mission par les arbitres. Ce faisant, la Cour repousse encore le moment où le juge étatique devient incompétent, dès lors que le processus de désignation des arbitres puis de définition de leur mission et enfin d’acceptation de celle-ci par les arbitres peut, en pratique, durer plusieurs semaines voire plusieurs mois.

Sur le plan théorique, la Cour de cassation a depuis longtemps admis d’écorner ainsi la sacro-sainte pratique de l’incompétence du juge étatique en présence d’une clause d’arbitrage. Ce faisant le juge illustre ainsi la théorie dite du "juge d’appui" qui désigne ainsi son rôle secondaire de "facilitateur" de l’office de l’arbitre.

Ce rôle de juge d’appui, attribué au juge étatique est d’ailleurs fréquent, si l’on s’en tient aux dispositions du Nouveau code de procédure civile, qui lui octroie par exemple la compétence de désigner l’arbitre en cas de désaccord entre les parties ou bien de proroger la durée de la mission de l’arbitre.

En résumé, cette jurisprudence témoigne du paradoxe apparent qui anime les relations entre les juridictions arbitrales et étatiques, l’intervention de ces dernières, loin d’empiéter à tort sur la compétence des premières, constitue une sorte d’hommage du vice à la vertu "Moi, juge étatique, je ne suis compétent que pour vous permettre d’exercer (désignation de l’arbitre en cas de désaccord, recueil contradictoire d’éléments techniques via l’expertise) votre pleine compétence".