Les deux protagonistes dans cette affaire sont deux frères (Amir et Rami), apparemment très aisés et qui n’hésitent pas à se lancer dans des procédures coûteuses. Mr Julius, un solicitor, a été le conseil de l’un et l’autre frère et a également été médiateur pour tenter de résoudre les nombreux litiges qui sont survenus entre eux. Mr Davis est un lawyer exerçant aux Bahamas. Il administrait un trust dont les bénéficiaires étaient Amir et ses enfants. Le trust habilitait Rami à désigner d’autres bénéficiaires.

En 2004, les parties ont conclu un accord pour mettre un terme à des poursuites pénales engagées aux Bahamas par Mr Davis contre Amir. Cet accord comprenait une clause compromissoire très inhabituelle. Celle-ci stipulait qu’en cas de litige, Mr Julius serait désigné comme arbitre unique et que les parties renonçaient à contester sa désignation au motif que celui-ci avait déjà été leur médiateur ou bien leur conseil. L’accord mentionnait également le fait que chaque frère avait consulté un avocat séparément avant de signer celui-ci. Enfin, il précisait que la résolution du différend serait régie par le droit suisse et que le siège de l’arbitrage serait Genève. Bien qu’inhabituelle, cette clause paraît valable.

Un nouveau litige est survenu entre les frères et Rami a saisi Mr Julius en tant qu’arbitre, conformément à l’accord. Amir a réagi en assignant son frère devant la Commercial Court de Londres, soutenant d’une part, que l’accord était nul car Rami se serait rendu coupable d’une fraude (en partie commise en Angleterre) et, d’autre part, que Mr Julius n’aurait pas dû accepter d’être nommé comme arbitre unique d’un tribunal pré-constitué puisqu’il se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts et les règles de déontologie applicables à celui-ci lui interdisaient d’accepter cette mission.

Les défendeurs ont soutenu que le présent litige ne relevait pas de la compétence des tribunaux anglais mais de celle de l’arbitre unique, Mr Julius et que, en tout état de cause, si une juridiction nationale devait être saisie, il s’agirait des tribunaux suisses en tant que juridiction d’appui du lieu du siège de l’arbitrage.

Entre temps, l’arbitre, Mr Julius, a écrit aux deux frères pour les informer qu’il comptait tenir une audience afin de se prononcer sur sa propre compétence. Amir a répondu que Mr Julius ne devait pas prendre de décision avant de connaître le résultat de la procédure engagée en Angleterre. Devant le refus de l’arbitre, Amir a fait une demande d’injonction devant la Commercial Court de Londres pour empêcher le déroulement de cette audience. La demande d’injonction a été rejetée et Amir a formé un recours devant la Cour d’appel.

La Cour, pour rejeter le recours, s’est fondée sur le principe de compétence-compétence, selon lequel il appartient à l’arbitre de se prononcer sur sa propre compétence. Même lorsque l’une des parties a mis en doute son l’impartialité, comme en l’occurrence, où Mr Julius se trouverait dans la position à la fois de juge et partie, la Cour a considéré que cela ne devait pas empêcher l’arbitre de se prononcer sur sa compétence. La Cour a rappelé que les frères, avant de signer l’accord, fût-il plutôt "inhabituel", avaient chacun consulté un avocat.

Elle a ensuite relevé que la décision de l‘arbitre pourrait faire l’objet d’un recours, devant les tribunaux suisses. Elle a enfin précisé que la validité de l’accord devrait être appréciée selon les dispositions du droit helvétique. Elle a donc conclu au rejet de l’appel.

Les juges anglais ont donc repoussé les manœuvres dilatoires de Amir Weissfisch dont la mauvaise foi semblait acquise puisqu’il avait signé l’accord en toute connaissance de cause. Nous saluons cette décision qui ne fait qu’appliquer le principe de compétence-compétence qui s’impose même dans des situations où l’arbitre n’est manifestement pas impartial. La Cour a également confirmé, et c’est heureux, que le "juge d’appui" dans le cadre d’une procédure d’arbitrage est bien celui du lieu où le siège de l’arbitrage a été fixé.