Les cessions d’entreprises, qu’il s’agisse d’une cession de contrôle ou d’une cession minoritaire, voire d’une cession de fonds de commerce, ont fréquemment pour préalable la réalisation d’audits [sur cette pratique, voir numéro spécial de Droit & Patrimoine, 2008, notamment la leçon de C.Hausmann et B.Dondero, p 62 à 68]. S’agissant d’un processus conventionnel, les audits (comptable, industriel, opérationnel, juridique…) ne donnent pas une sécurité totale et ne prémunissent pas l’acquéreur contre tous les risques de l’entreprise qu’il acquiert, notamment ceux qui sont cachés ou inconnus lors de la conclusion de la cession.

Comment se prémunir contre un retournement de conjoncture ? Peu de spécialistes, économistes et financiers de grande notoriété, avaient prévu la défaillance de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 et ses conséquences néfastes sur le système bancaire international, puis par ricochet sur l’économie mondiale après la raréfaction du crédit.

Les spécialistes de corporate finance, depuis une trentaine d’années, ont mis à la mode les conventions de garantie de passif et d’actif, destinées à permettre aux acquéreurs d’entreprises de limiter les risques inhérents à toute activité industrielle ou commerciale, dont l’origine est antérieure à la prise de contrôle. L’objet de cette convention est de garantir l’acquéreur contre un accroissement du passif ou une diminution de l’actif révélé postérieurement à l’acquisition, mais dont le fait générateur est antérieur.

Prenons à titre d’exemple un passif fiscal révélé à l’occasion d’un contrôle de la comptabilité portant sur la période antérieure à la cession. L’acquéreur estime naturellement qu’il n’est en rien concerné par les options fiscales prises par l’ancienne équipe dirigeante avant la cession que l’administration conteste à l’issue d’un contrôle fiscal postérieur à la cession. Il mettra donc en jeu la garantie de passif pour obtenir réparation, soit sous forme de réduction de prix, soit moyennant une indemnité, du redressement notifié par l’administration.

La convention de garantie est un correctif de la valeur de l’entreprise acquise par rapport à des évènements (fait générateur) révélés postérieurement à l’acquisition. La mise en jeu de la garantie permet de réajuster le prix de cession en fonction de la valeur réelle de l’entreprise à la date de la cession, comme si le supplément de passif ou la minoration d’actif avait été connue à cette date et traduit dans les comptes.

La convention de garantie est un contrat sui generis. Par conséquent, seules les stipulations contractuelles régissant les rapports entre les parties doivent être prises en compte, hormis l’ordre public et les principes généraux du droit. La Cour de cassation entend faire respecter les stipulations contractuelles et procède à l’interprétation stricte de la volonté des parties. La jurisprudence récente tend à privilégier l’intention des parties telle que matérialisée par les stipulations contractuelles (I). Le droit français n’admet pas les conventions perpétuelles, ainsi la convention de garantie est-elle nécessairement conclue pour une durée déterminée, voire avec plusieurs clapets à durée déterminée différente selon la nature des risques appréhendés. A l’expiration de la convention, le cessionnaire perd son recours contractuel, mais non pas tout recours puisqu’il lui est encore possible d’attraire en justice le cédant en se fondant sur un vice du consentement, plus particulièrement le dol ou le dol incident (II).
I – La reconnaissance de la convention de garantie par la Cour de cassation ou la responsabilité sans faute

La chambre commerciale, au début de l’année 2008 (Cass. com. 29/01/2008, n° 06-20.010), a confirmé que la mise en œuvre de la convention de garantie n’est pas subordonnée à la preuve d’un préjudice financier ou économique. Un bref rappel des faits de la cause s’impose. Le cédant avait garanti une situation nette de 3 000 000 de francs au 31 décembre 1998 de la société acquise. Le cessionnaire invoquait une insuffisance d’actif 167 481 euros correspondant à une perte provisoire d’une société en participation dans laquelle la société cédée était associée, cette société en participation avait finalement dégagé un résultat bénéficiaire appréhendé par la société cible après son acquisition.

Le dénouement heureux de cette anomalie comptable était invoqué par le garant pour éviter le paiement des sommes dues au titre de la convention de garantie. Il n’est pas contesté que la société cessionnaire n’avait pas subi de préjudice.

La Cour de cassation n’a pas retenu cet argument. Les juges du fond étaient tenus de mettre en œuvre le mécanisme de la garantie convenu par les parties. La convention de garantie est conçue comme un mécanisme de rééquilibrage des termes de la cession et ne suppose pas, contrairement à la mise en œuvre de la responsabilité civile d’un tiers (1382 et suivant) ou d’un cocontractant (1147 et suivant), l’existence et la preuve d’un quelconque dommage.

La fonction de la convention de garantie est d’assurer au cessionnaire une concordance entre les déclarations du cédant et la situation réelle de l’entreprise au jour de la cession. Lorsque la situation réelle à la date de référence (généralement le jour de la cession) est différente de la situation dépeinte dans les annexes de la convention suite à la réalisation d’un fait générateur (que le risque ait été connu ou inconnu, mais garanti), la convention a vocation à être mise en jeu telle quelle par le bénéficiaire.

Tout dépend des déclarations du garant et de ce qui a été garanti, tant au niveau du passif et de l’actif (point de vue comptable) que de l’exploitation (absence de procès, existence d’une clientèle, carnet de commandes, stock, encours, pérennité des relations commerciales…).

La Cour de cassation aujourd’hui privilégie le respect de la volonté des parties tel que stipulé dans la convention de garantie. [Etude complète sur les conventions de garantie, « Les garanties de passif », par C.Hausmann et P. Torre 3ème éd. EFE].

Une partie de la doctrine (Recueil Dalloz 2009 , n° 33, p 2333 à 2337, note de P-M De Girard et C-A Pascaud) considère que la position de la Cour de cassation est réductrice. Elle adopterait une conception trop libérale du contrat. Les parties ne seraient liées que par les termes de la convention signée.

Le rééquilibrage des rapports contractuels ne pourrait plus être effectué grâce à l’intervention du juge. Par ailleurs, ce dernier ne serait pas en mesure de sanctionner le comportement déloyal d’une des parties.

L’autonomie de la volonté pourrait conduire à des solutions iniques au profit d’un cocontractant de mauvaise foi. Ces auteurs incitent, de ce fait, à la plus grande prudence lors de la rédaction de la convention de garantie. On ne peut que souscrire à cette dernière recommandation.

Il semble pourtant crucial de respecter l’autonomie de la volonté. Les parties ont décidé de régir leurs rapports par la convention de garantie. Cette dernière a pour fonction essentielle d’assurer la sécurité juridique et un mécanisme de garantie indépendant de toute faute. Une interprétation en équité permettrait au juge de modifier les rapports contractuels voulus par les parties.

Or, l’immixtion du juge dans le processus contractuel lors de la mise en jeu de convention de garantie risque de remettre en cause l’intangibilité de la convention. Les parties ont conclu cette convention à dessein en connaissance de cause assistées pour la plupart par des conseils avisés et expérimentés. Elle leur permet une certaine prévisibilité des solutions lorsque la situation s’étiole. Permettre au juge de modifier les solutions convenues entre les parties lorsque la situation se détériore remet en cause la sécurité juridique de la relation contractuelle. La prévisibilité des solutions engendrées par la mise en jeu de la convention ne dépendrait alors plus uniquement de ladite convention mais de l’interprétation que le juge pourrait avoir des rapports de droit et de fait entre les parties. Nous ne partageons pas cette conception.

Un arrêt de fin 2008 (Cass.com., 4/11/2008, n° 07-19195) confirme cette tendance du strict respect des stipulations contractuelles convenues par les parties.

La narration des faits du litige permet de comprendre la solution adoptée par la Cour de cassation. La société Opievoy, cessionnaire, avait acquis auprès de la société Macba, cédante, la majorité des parts de la société Orly Parc. Opievoy avait obtenu que la convention de garantie porte sur les comptes d’Orly Parc et diverses déclarations et annexes à la convention.

La société Opievoy a par la suite enregistré une perte comptable lors de la vente d’un immeuble et a décidé de mettre en œuvre la convention de garantie. Celle-ci prévoyait que la société Macba, cédante, garantissait à Opievoy, cessionnaire, l’exactitude des comptes de référence, des déclarations et des annexes. La perte subie par Opievoy constituait un accroissement du passif.

La Cour de cassation a considéré que l’accroissement du passif devait être réparé par la mise en jeu du mécanisme de la convention de garantie.

Un arrêt encore récent (Cass.Com., 9/06/2009, n° 08-17.843) confirme cette jurisprudence, à savoir la stricte application de la volonté des parties (pacta sunt servanda).

La convention de garantie, en l’espèce, ne prévoyait pas expressément la déchéance de la garantie lorsque le cessionnaire n’avait pas informé le cédant en temps et heure de la survenance d’un fait générateur conduisant à la mise en oeuvre de la garantie.

La Cour de cassation a considéré que l’imprécision du contrat relevait de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Le manque de précision dans la rédaction de la convention de garantie a eu pour effet d’inciter les parties à saisir le juge du fond.

La sécurité contractuelle et le respect de la volonté des parties consacrée par les juges imposent donc plus que jamais une rédaction méticuleuse, voire détaillée (sans tomber dans l’excès anglo-saxon), de la convention de garantie et de ses annexes. A défaut la mise en jeu de la garantie et le niveau de réparation deviennent aléatoires. Non seulement faut-il prévoir précisément ce qui est garanti, mais aussi les limites de la garantie (plafond, de minimis, franchise, seuil de déclenchement, durée(s)…), ainsi que la description minutieuse de ce qui est déclaré par le cédant à titre exonératoire ou non et enfin le mécanisme de mise en jeu de la garantie avec son formalisme. En pratique, les annexes aux conventions de garantie deviennent de plus en plus volumineuses.

II – Dol incident après expiration de la garantie

La convention de garantie est un contrat à durée déterminée. A l’expiration de la convention, le cessionnaire ne peut plus, en principe, se prévaloir des dispositions de la convention et de son mécanisme contractuel de réparation objectif détaché de toute faute (responsabilité sans faute).

Le cessionnaire, bénéficiaire d’une garantie expirée, peut encore, dans certains cas, invoquer le droit commun des obligations. Le cessionnaire s’efforcera alors de démontrer que son consentement a été vicié lors de la conclusion de la cession et que l’expiration, voire les limitations de la garantie, ne peuvent pas lui être opposées [Cass.com., 20/01/2009, n ° 07-18.136, F-D. L’arrêt indique que les clauses limitatives de responsabilité ne peuvent faire échec à une action fondée sur les manœuvres dolosives par le cessionnaire à l’égard du cédant].

Il invoquera les manœuvres dolosives du cédant dont il devra rapporter la preuve. Comme il n’a probablement pas intérêt à demander la nullité de la vente pour dol, erreur ou tromperies, il choisira l’indemnisation en portant l’attaque sur le fondement d’un dol incident.

Le cessionnaire fera valoir que le contrat de cession aurait été conclu à des conditions différentes que celles auxquelles il a contractées.

Le Professeur Daniel Cohen, (université de Paris II), reconnaît que « depuis une dizaine d’années, les acquéreurs qui souhaitent faire valoir leur préjudice, fondaient leur action uniquement sur la garantie de passif. Aujourd’hui, ils multiplient les fondements. Il n’est plus rare d’invoquer la garantie de passif, doublée d’une obligation légale comme le dol incident » (Professeur D.Cohen, Capital finance, 22 juin 2009, n° 935).

Le dol incident ne porte pas sur l’objet même de la cession, par exemple le fonds de commerce ou bien les valeurs mobilières cédées, mais des parties secondaires du contrat (le mauvais état des machines ou la contamination des sols). Il ne permet pas d’annuler le contrat, mais il est possible de réclamer des dommages et intérêts si le dol est rapporté et qu’un préjudice a été subi (Les Obligations, 2ème édition Defrénois,p 253, n°512) .

Une partie de la doctrine nie l’existence du dol incident (Flour, Aubert et Savaux, tome n° 1, n° 212, édition A.Colin) et nous partageons cette analyse. Il permet à l’acquéreur trompé d’obtenir des dommages et intérêts, lesquels se traduiront dans les faits, par une minoration du prix convenu. Les parties revendiquent la prévisibilité contractuelle alors que le dol incident produit l’effet inverse. Heureusement que les délais de prescription ont été réduits, ce qui interdit d’invoquer le dol incident plus de 5 ans après la cession.

En synthèse, la jurisprudence récente de la Cour de cassation confirme la tendance de ces dernières années, à savoir un plus grand respect de la volonté des parties telle qu’exprimée dans leurs conventions. On constate par ailleurs une remise à la mode du dol incident pour contourner l’expiration de la convention. Le bénéficiaire pourra alors faire valoir d’autres préjudices, comme l’atteinte à son image ou la perte d’une chance de réaliser un profit.

La jurisprudence arbitrale va dans la même direction, bien que les sentences pour la plupart ne soient pas publiées. Nous avons récemment été impliqués dans une procédure arbitrale impliquant une convention de garantie expirée où les arbitres ont fait usage du dol incident pour condamner le cédant à des dommages et intérêts.